Sa préférée, de Sarah Jollien -Fardel
Jeanne, la narratrice, revient sur son enfance dans un petit village du Valais en Suisse. Une enfance marquée par la violence de son père, souvent alcoolisé, qui s'en prend principalement à sa mère et à sa grande soeur.
C'est par l'instruction que Jeanne va tenter de fuir cette ambiance malsaine. Elle fait des études à Lausanne, essaye de se construire et d'oublier d'où elle vient. Mais la réalité la rattrape, ainsi que la culpabilité d'avoir laissé sa mère au main de ce tyran.
Car son enfance, c'est le socle branlant sur lequel elle se façonne. Et du coup tout est bancal : ses relations avec les hommes à qui elle n'arrive pas à faire confiance, ses histoires d'amour, sa violence, sa froideur, sa colère, son état dépressif.
Même si ses études lui permettent d'avoir un métier intéressant, même si elle fait des rencontres avec des hommes et des femmes bienveillants, il reste cet esprit torturé qui ne s'amenuise pas avec les années.
Un style direct avec des phrases courtes qui nous percute. Un univers sombre et douloureux.
Extraits : "De l'attirance, du désir, ou même de mes goûts, je ne savais rien. Rien. Si, à vingt ans, j'étais si indifférente au sexe, c'est que j'étais imperméable à tous les plaisirs. Être aux aguets avait accaparé tout mon être. Esprit et corps. Chaque jour. Anticiper les gestes de mon père, avoir peur de chaque instant. Faut l'imaginer, ça, tous les jours, la trouille, tous les jours. En rentrant de l'école, se demander s'il sera là, s'il sera bourré, énervé. Avoir le souffle bloqué au moindre bruit ou, pire encore, au son de sa voix, à sa manière de poser ou de jeter ses chaussures, être en apnée à table ou dans la salle de bains, en faisant les devoirs ou en lisant. Mon corps est un rempart - jamais de nonchalance, de la nervosité dans les jambes pour détaler. Mon corps est un radar - détecter la présence de mon père, courber la nuque, mais garder les yeux levés, tête et épaules rentrées, la bosse de bison naîtra vite."
L'été de Katya, de Trevanian
L'amie qui m'a prêté ce livre m'avait dit qu'il lui faisait penser à des romans de Daphné du Maurier, et c'est tout à fait ça ! (pour rappel, c'est elle qui a écrit Les oiseaux, Rebecca ou L'auberge de la Jamaïque, trois ouvrages où l'on retrouve du mélo et une tension qui grandit à chaque page).
C'est Jean-Marc Montjean qui nous raconte son histoire, et plus particulièrement une rencontre qu'il a faite l'été 1914. Il était alors jeune médecin dans un petit village du Pays Basque, proche de son bourg d'origine. Partageant une patientèle avec le médecin présent depuis de nombreuses années (et cynique à souhait, un régal), il va tomber amoureux de Katya Tréville, une jeune femme qui vit avec son père et son frère jumeau à quelques kilomètres du bourg.
On sait qu'ils viennent de Paris, mais tout le reste est un mystère : pourquoi être venu s'installer là ? Pourquoi vivre comme des reclus ? Les ragots vont vite dans ces petits villages. Plus Jean-Marc côtoie les Tréville, plus il se rend compte qu'il y a effectivement un secret qui plombe la famille.
Je ne vous en dirais pas plus !
J'ai beaucoup aimé ma lecture, à la fois divertissante, charmante et parfois drôle. Et puis la tension monte, les secrets se dévoilent ...
Une belle parenthèse de lecture.
Extrait :
"Que désirez-vous savoir ?
- Tout
- Bien. Je vais vous faire part du subtile amalgame d'inventions et de faits qu'on appelle la vérité par ici. Comme dans la Genèse, je vais débuter par : "Au commencement ..." Ce qui ressemble dangereusement à : "Il était une fois ...", comme le sait tout bon théologien. Bref, les Tréville sont arrivés de Paris il y a un an. Ils étaient trois. Un père et deux enfants qui, comme je suppose que vous même avez pu le remarquer, sont jumeaux - situation en elle-même déjà assez louche. Ils ont loué la bâtisse décrépie qui a pour nom Etcheverria à des conditions qui ont tellement ravi son propriétaire qu'il s'est précipité en ville pour payer des tournées - excès de générosité dont il s'est mordu les doigts depuis, et pour lequel il s'est sans aucun doute accusé à confesse d'avoir péché par prodigalité. Depuis leur arrivée, les Tréville ont vécu pratiquement comme des reclus, ce que les commères du coin ne peuvent leur pardonner. Puis-je vous offrir un autre verre ? Non ? Ce n'est vraiment pas charitable, vous savez, de jeter comme ça votre sobriété à la figure des gens. Encore une de ces cruautés inconscientes de la jeunesse. Le père passe pour une sorte d'érudit, avec toute l'opprobre attaché à juste titre à cette infâme qualification. Le fils, dit-on, est un bon à rien, un snob, et, comme personne ne l'a surpris en train de grimper à la fenêtre d'une petite paysanne, on le soupçonne d'être un rien pédé. Après tout, il vient de Paris, et nous savons tout ce que ça signifie. Mais c'est la fille - oserais-je l'appeler votre jeune demoiselle - qui a attiré le plus l'attention des vieilles biques. On l'a vue se promener seule dans les champs, de temps en temps. Se promener seule."
Le soldat désaccordé de Gilles Marchand
Acheté lors des Escales de Binic en mars, ce livre m'attendait sur ma PAL. Ayant vu qu'il avait reçu le prix des libraires, je l'ai ressorti, et bien m'en a pris.
Après la première guerre mondiale, un ancien poilu qui a perdu la main gauche, s'est spécialisé dans les investigations pour retrouver la trace de disparus. Il est contacté en 1925 par Jeanne Joplain qui est à la recherche de son fils. Celui-ci n'a plus donné signe de vie depuis 1916, suite à la bataille de Verdun. Persuadée qu'il est toujours vivant, peut-être amnésique, elle le mandate pour faire des recherches. Cette quête va lui prendre 16 ans et va devenir son leitmotiv.
Parce que ce Emile Joplain qu'il cherche avait quelque chose de spécial. Il était amoureux fou, transi d'amour, passionné et que, malgré l'horreur des tranchées, la violence des champs de bataille, les morts, les blessés, la boue, les poux et la vermine, Emile ne pensait qu'à Lucie et n'avait qu'un but, retrouver sa fiancée.
Lucie, l'alsacienne, qui faisait de même de son côté, allant jusqu'à arpenter les no man's land pour essayer de retrouver son prince.
Commence alors une quête qui va replonger notre enquêteur dans la guerre. Il interroge des anciens soldats, des témoins qui, à force d'anecdotes, rendent le récit très vivant. L'ironie a aussi la part belle, entre les combats pour gagner quelques mètres "On oubliait que ça allait repéter de partout, qu'on allait partir à cent et revenir à trente, qu'on allait tuer, qu'on allait mourir, qu'on allait laisser un ami dans le no man's land et l'entendre gémir la nuit entière.", les réflexions simples et terribles "Si on avait su qu'un boche c'était rien qu'un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus.", et cette "der des der" qui n'en n'est pas une.
Cet amour fou est devenu quasi mythique dans les tranchées. Les hommes et les femmes qui ont croisé les deux amants en ont gardé un souvenir fort, car c'était l'étincelle de vie qui les faisait tenir.
Cette quête nous fait vibrer : les deux amants ont-ils réussi à se retrouver ? Ont-ils disparu ensemble pour enfin vivre sereinement leur histoire d'amour ?
J'ai fini la lecture en apnée.
Une histoire prenante pleine d'amour sur fond de guerre (qui m'a fait penser à "Un long dimanche de fiançailles"), et une belle écriture. J'ai souri, j'ai tremblé, j'ai été épouvantée, j'ai espéré ...
Extrait : "Dans les tranchées, dans les boyaux, on remettait nos havresacs. Somme, Artois, Marne, Verdun. On démarrait, on avançait. On obéissait. Devant nous des havresacs, derrière nous des havresacs. Des voitures, des camions pour lesquels on s'écartait. On dégageait la route en se calant dans les fossés, en montant sur les parapets. On en profitait pour s'asseoir une minute ou deux. Quand il pleuvait, on n'osait pas toujours, pas au début en tout cas. A la longue, on s'en foutait, on remettait nos havresacs. Boue par boue, pluie par pluie, il fallait avancer.
On se racontait nos amours. Ceux qu'en avaient plus se souvenaient. Ceux qu'avaient pas été gâtés embelissaient. Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. On avait les pieds lourds, alors on s'interdisait d'avoir le coeur trop lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie, on aurait coulé. Et il fallait avancer. On remettait nos havresacs qu'on remplissait d'histoires d'amour d'un peu tout le monde, ça resservirait toujours. L'amour, ça se partage bien, t'en prend un bout, il en reste autant à celui qui t'a raconté l'histoire. C'était facile d'être généreux. Et pour cela, celui qui était le meilleur, d'après tous ceux qui l'avaient rencontré, c'était Joplain. Son histoire surpassait toutes les autres. Macaret, Létoile, Moriceau, tous en parlaient avec des lumières plein les yeux."
La nuit est mon jour préféré, de Cécile Ladjali
Livre qui tournait dans mon groupe de lecture et qui m'a attiré par son titre, sa couverture et le fait qu'il se situait à Tel Aviv, là où vit actuellement un de mes enfants.
Un roman d'introspection de Tom, jeune psychiatre dans un hôpital de Tel Aviv, qui doit gérer à la fois ses patients et sa vie personnelle chaotique.
Les deux patients que l'on va le plus suivre sont Hephraïm Steiner, un harpiste octogénaire hospitalisé pour paranoïa, et Roshan, une jeune fille palestinienne qui a tenté de se suicider après un déni de grossesse de près de 8 mois.
Parallèlement à leur suivi, Tom revient sur son enfance, l'absence de son père, les relations difficiles avec sa mère et le drame qui s'est joué quelques jours avant sa naissance avec la mort de sa tante.
Et tout cela sur fond de conflit israélo-palestinien ce qui donne une ambiance assez pesante.
Je me suis perdue dans les méandres des pensées de Tom et ses errements. Pourtant j'ai bien aimé le début mais petit à petit j'ai eu l'impression de lire en boucle le même propos, notamment avec l'histoire de la tante de Tom et son amoureux de jeunesse.
Je suis donc resté en retrait et j'ai fini le livre en diagonale. Tant pis !
Le plongeon de Séverine Vidal et Victor L. Pinel
Yvonne vend sa maison pour se rendre à l'EPHAD. Elle quitte avec une grande tristesse ce lieu où elle a vécu avec son mari et ses enfants. Dotée d'un franc parler, elle va rencontrer un groupe d'amis qui vont l'aider à mieux accepter cette institution.
Ah, comme j'ai aimé Yvonne, la tempétueuse qui, après un passage à vide, fait des soirées dans sa chambre, aime et fugue. Mais j'ai aimé aussi ses amis, qui ont tous leurs failles et un côté attachant, sans oublier Youssef l'aide soignant au grand coeur, attentionné et prévenant.
Mais tout n'est pas rose dans cet EPHAD où le quotidien est rythmé par le manque de personnel, la climatisation en panne ou une directrice à cheval sur le règlement qui a tendance à infantiliser les résidents.
Une très belle BD ou les dessins vont parfaitement avec le scénario. Les visages sont expressifs et permettent la compréhension des sentiments sans qu'ils ne soient écrits. On passe des larmes au rire.
Une lecture pleine d'espoir et de vie.
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Le garçon de Marcus Malte
Il n'a pas de nom, pas de famille. Quand sa mère meurt en 1908, il se retrouve seul, quelque part dans le sud de la France. Il a environ quatorze ans. A part sa mère, il n'a jamais parlé à un autre humain. Et les seuls qu'il a rencontrés c'est des braconniers et un colporteur qui s'était arrêté devant leur cabane. A moitié sauvage, il décide de partir.
Les rencontres qu'il va faire, avec quelques familles dans un hameau, avec un saltimbanque vivant dans sa roulotte ou avec une jeune femme qui va l'aimer comme une mère, une soeur ou un amante vont le construire. Il découvre l'accueil et la peur de l'étranger, l'intolérance, la religion et l'amitié. Il imite, il s'imprègne de philosophie ou d'amour.
Mais en 1914, la guerre vient tout basculer dans l'horreur.
C'est un livre puissant et émouvant. Dès le départ, le ton est donné avec ce jeune garçon qui porte sa mère mourante sur son dos. - magnifique passage. J'ai aussi aimé la rencontre avec l'Ogre des Carpathes et leurs échanges ou silences plein de philosophie. J'ai été touchée par les relations avec les camarades de tranchées et par la description de la boucherie de cette guerre. Par contre j'ai trouvé des longueurs dans la vie avec Emma même si son ouverture aux arts est enchanteur.
Une écriture poétique et puissante qui retrace l'ouverture d'un innocent à la beauté et à l'horreur de la civilisation.
Extrait : "Il a franchi la frontière de son domaine. En ces territoires inconnus où il s'aventure il peut aussi bien être le chasseur que la proie. ll avance les sens à l'affût. L'ennemi est d'autant plus effrayant qu'il en ignore la nature. Il ne sait pas de quoi il doit avoir peur.Chaque bruit, chaque silence est jaugé dans l'immédiat pour la menace qu'il recèle. Chaque mouvement esquissé dans son champ de vision. En réalité, c'est à son instinct plus qu'à son jugement que le garçon s'en remet. Qui lui dicte sa conduite, l'incite à s'arrêter, à se tapir, à attendre ou à fuir. Dans l'ombre du prochain bosquet respire peut-être la créature qui va le dévorer."
No-no-yuri et Suzuran de Aki Shimazaki
J'ai commencé cette série par le titre Sémi, où l'auteur nous parlent d'un couple de personnes agées qui vivent dans une maison de retraite et dont la femme perd la mémoire au point de ne plus reconnaître son mari. Celui-ci va alors devoir la reconquérir.
Dans No-no-yuri (le premier édité) l'histoire est centrée sur la fille aînée de ce couple, une femme de 35 ans très belle, célibataire, croqueuse d'homme, secrétaire de direction dans un grand groupe à Tokyo et très attachée à son indépendance.
On la suit dans ses relations avec des hommes mariés, son travail qui lui permet de voyager, ses rapports éloignés avec ses parents et sa petite soeur et son évolution face à une situation imprévue.
Cette jeune femme assez froide n'est pas très agréable et je n'ai pas ressenti beaucoup d'empathie à son égard. Le plaisir de la lecture vient non pas de ce personnage mais de la douceur de l'écriture qui arrive à nous transmettre l'ambiguité de cette femme, ce grand écart entre tradition et modernité et surtout le poids de souvenirs de son enfance qui l'ont fait devenir ce qu'elle est aujourd'hui.
Dans Suzuran on suit la petite soeur qui vit plus près de ses parents. Divorcée avec un enfant, elle est céramiste et commence à être reconnue dans le métier. Beaucoup plus douce et calme, elle est à l'opposée de sa soeur. Un volume plus tourné vers l'art, où l'on retrouve les sujets de choix de vie et de dualité présents dans les autres volumes.
J'ai aimé retrouver cette famille, ces caractères si différents et complémentaires. J'ai aimé l'idée que l'on voit leurs vies de plusieurs points de vue, chaque roman s'imbriquant dans le précédent.
Des courts romans très agréables à lire pour ceux qui aiment l'univers japonais.
J'ai hâte de poursuivre avec Niré, qui se concentre sur le petit frère, assez absent des autres ouvrages.
Extraits :
No-no-yuri : "Tous mes amants étaient mariés, mais je n'ai jamais souhaité qu'ils divorcent pour moi. Au contraire, je les quittais dès qu'ils y faisaient allusion, comme O. Ce soir. Cela ne changera pas. Je cherche des hommes satisfaits de leur mariage."
Suzuran "La poterie est indispensable à ma vie. En pétrissant de l’argile avec mes mains puis en façonnant une pièce, j’oublie tout ce qui se passe autour de moi. Et, chaque fois, au moment de sortir mes oeuvres du kama, je suis à la fois très excitée et soulagée comme après un accouchement. Emue par les motifs créés au hasard par le feu de bois, je mûris déjà un nouveau projet."