Dans la foule, de Laurent Mauvignier
parution sept 2006, 370 p, prix Fnac lecteurs
Drame du Heysel, 29 mai 1985. Un foule compacte attend dans un stade archi plein la finale de la coupe d’Europe des champions entre l’Italie et l’Angleterre… Avec le drame que l’on connaît : des anglais déchaînés qui frappent, des italiens qui essayent de fuir et se retrouvent bloqués par un grillage, 39 morts, des centaines de blessés, et le match qui est quand même joué.
Laurent Mauvignier revient sur cette soirée en suivant plusieurs personnes : Geoff et ses frères qui viennent de Liverpool, Jeff et Tonino qui ont fait le voyage de France, et enfin Tana et Francesco, en voyage de noce et en provenance d’Italie.
Dans la première partie, on suit tous les personnages qui vont se retrouver dans cette tribune mortelle. La beuverie de certains, le plaisir des autres….
La deuxième partie décrit le drame. On est à bout de souffle. Pas d’atrocité, pas de sang, mais une écriture pleine de tension. Il n’y a pas de points, juste des halètements au grès des respirations qui s’amenuisent. La souffrance est palpable, tenir, ne pas être broyés. Il y a aussi toute l’incompréhension devant l’horreur.
La troisième partie décrit l’après. Comment vivre quand on a participé aux lynchages sans être pris. Affronter sa lâcheté, supporter que sa vie se construise sur un mensonge. Comment vivre après la perte d’un être cher. Le jour et les semaines qui suivent, hagards, puis la vie qui doit reprendre, le quotidien qui se renouvelle. Apprendre à sourire après l’apocalypse. Et comment vivre quand on a été simple spectateur mais que les images vous réveillent la nuit….
J’ai eu un peu de mal à rentrer au début dans le livre. Les propos et les descriptions de la vie à Liverpool étaient tellement glauques… puis j’ai pris plaisir à rencontrer les personnages. Ensuite, j’ai été accrochée à mon livre, sans pouvoir respirer. Des terribles et très belles pages sur ces quelques minutes de folie. On a envie d’être présent pour parler, comprendre, aider. Très beau moment aussi de ce jeune hooligan qui ne comprend pas son geste, n’arrive pas à en parler, vit entre la honte et le désespoir.
On rentre vraiment dans l’intimité des personnages. Chacun parle à son tour (parfois dans le même chapitre, il faut suivre !!!), nous suivons les pensées parfois décousues, les tâtonnements, les silences…Il y a une finesse des émotions, des sensations dramatiques.
Beau livre, parfois quelques longueurs, mais je ne regrette pas de l’avoir lu.
Vous pouvez retrouver les avis positifs de la lettrine , in cold blog , passion des livres ..., et celui négatif de Bebebook ...
Extrait :
"ces bruits d'ossements et ces craquements et ces voix qui s'exaspèrent, et mon front où viennent se briser des éclats minuscules de gravier - je ne vois rien, je ferme les yeux. Oh, Fransesco, tiens moi la main, tiens moi fort et ne te laisse pas écraser ni plier par ceux là qui tombent et nous recouvrent. J'entends les souffles. C'est comme dans un trou. Qu'est ce qui rétrécit autour de nous? Où es-tu? Je n'entends plus ta voix. Et les rugissements, tu les entends? C'est comme des rugissements dans les oreilles mais cette fois non, je ne peux plus mettre mes mains sur les oreilles pour ne plus entendre ni sentir les odeurs de savon et les lotions mêlées de crasse et de sueur, il faut lutter pour tenir. Tenir. Ne pas casser en deux. Faire rouler la colonne vertébrale. Ça plie, ça ploie, ne pas casser et faire comme les roseaux et le vent, je me souviens de la canne avec laquelle mon grand père allait pêcher des poissons monstrueux et des roseaux que ma grand-mère peignait au fond des assiettes qu'elle réservait pour les anti-pasti, mais aussi de l'histoire des roseaux dans lequel on fait des flûtes de pan; ne pas casser, ne pas céder et au contraire arrondir le dos et laisser un espace suffisamment large entre soi et le sol, regarder par terre, fléchir la nuque et surtout rester comme ça; tout le contraire du roseau puisqu'il faut que les bras ne fléchissent pas et que les coudes soient droits, tendus, les bras tendus, les mains bien à plat."