L'héritage d'Esther, de Marai Sandor
parution 1939 - 150 p - traduit du Hongrois
Après avoir lu avec délectation "Les Braises", du même auteur, j'avais hâte de me replonger dans un de ses livres. Ayant trouvé celui-ci à la bibliothèque, je n'ai pas hésité.
Esther, la quarantaine, vit seule avec "Nounou", la vieille aide de la famille, dans sa maison qui menace ruine. Dans sa jeunesse, elle a aimé passionnément un jeune homme menteur, escroc, instable et charmeur. Mais c'est sa soeur qui l'a épousé. Elle vit sans âme, dans cette solitude, depuis 20 ans déjà, quand un télégramme lui annonce la venue de cet homme. Elle sait qu'il est venu pour la dépouiller de ce qu'il lui reste, mais elle est prête à achever le drame commencé 20 ans plus tôt.
Une écriture superbe, sobre et piquante. On retrouve le face à face qui m'a tant enchanté dans "les braises". La même atmosphère sombre et pesante et en même temps le thème de l'amour, de la passion, des liens qui se tissent entre deux êtres, loin de toute loi ou de toute morale.
Très beau livre, auteur à découvrir.
Extrait : "Oui, je le revoyais au milieu du cercle d'autrefois dans le jardin d'autrefois - et nous recommencions à vivre avec nos vieux ressentiments. En enfilant ma robe mauve, j'eus l'impression de revêtir l'un de mes anciens déguisements- le déguisement de la vie. Je sentais que tout ce qui caractérise un homme - sa force, son comportement particulier- est à même de ressusciter chez ses adversaires, et ce d'une façon étrange, un sentiment différent de la vie. Nous étant ligués contre Lajos, nous lui appartenions corps et âmes. Et maintenant qu'il s'approchait, nous vivions autrement, plus dangereusement, plus passionnément. Voilà les sentiments qui m'envahissaient alors que je me tenais debout devant la glace, dans mon vieux "déguisement". Lajos rapportait avec lui le passé, le sentiment atemporel de la vie. Je savais qu'il n'avait pas changé. Je savais que Nounou avait raison : nous ne pouvions rien contre lui. Et je savais en même temps que je n'avais toujours pas la moindre notion de la vraie vie, qu'il s'agisse de la mienne ou de celles des autres - et que, pour connaître la vérité de cette vraie vie, il me fallait en passer par Lajos, oui, par Lajos et ses mensonges."