On n'est pas là pour disparaître, de Rosenthal Olivia
J'ai été estomaquée par ce livre.
Pas un roman, pas un essai, mais des fragments de paroles qui partent d'un fait divers : celui d'un homme, Monsieur T, atteint par la maladie d'Alzheimer, qui le 6 juillet 2004 a poignardé sa femme lors d'une crise de démence et qui vit maintenant dans un institut, en dehors de la réalité. Fragments de parole de sa femme qui vient le voir et tente de garder sur lui un regard d'amour, celui de sa fille a qui il propose de coucher avec lui, celui des médecins qui diagnostiquent la maladie. Ces paragraphes sont entrecoupés de moments sur la vie du docteur Alzheimer, ses recherches, et se nom lourd à porter pour les générations... Il y a aussi des phrases très personnelles, sur Olivia Rosenthal, le suicide de sa soeur.... Et tout cela vous prend aux tripes.
Je n'avais pas trop envie de lire ce livre, j'avais peur que le sujet, la maladie d'Alzheimer, soit traité de manière pleureuse.. bref, sans le "lâcher de livres" de la ville de Rennes, je crois que je ne l'aurai pas lu....J'ai été un peu perdu au début. Perdu par le style d'écriture : chaque paragraphe est "écrit" par un personnage différent, et donc dans un style différent. Quand c'est les sentiments du malade, il n'y a pas de ponctuation; quand c'est la femme, le style est au contraire très haché; quand c'est la biographie du Dr Alzheimer, le style est quasi journalistique. Il y a aussi des sortes de poèmes, des phrases nues...
Et puis je me suis laissé prendre, et je ne l'ai plus lâché. Il n'y a aucune mièvrerie, les écrits sont tranchants, durs et en même temps plein d'émotion. J'ai vraiment été prise par ce livre et je le conseille vivement.
Extraits :
"Tu me fais peur, je suis venu te voir, je me suis forcée, je me suis promenée avec toi, je t'ai pris le bras, tu m'as entraînée vers la sortie, tu t'es mis en colère quand j'ai refusé de te suivre, tu m'as bousculée, j'ai résisté au dégoût qui monte en moi, à la rage, à l'envie de t'abandonner, je dois te comprendre, je dois te soutenir, je dois t'aimer, je t'aime encore, enfin je crois, je crois que j'aime en toi celui que tu as été, je t'aime parce que je t'ai aimé, mais tu me fais peur j'essaye de ne pas me rappeler, pourquoi m'as tu poignardée, tu n'es pas beau à voir, tu as vieilli, tu es vieux, tu n'as plus de dentier, tu n'es pas beau à voir, tu es mal rasé, je t'embrasse quand même, pas comme une femme embrasse son mari, mais je t'embrasse comme un vieil ami, une connaissance, et quand je vais partir tu cries, tu cries, on vient te chercher, tu cries, j'entends encore ton cri dans l'ascenseur, les portes se ferment, ton cri me poursuit"
"Toute la journée je suis enfermé avec des gens complètement idiots qui ne comprennent rien à ce que j'essaye de leur dire toute la journée à me démener pour sortir de là toute la journée entouré d'incultes qui me demandent de participer je suis plus à l'école dites le nom d'une fleur je suis plus un enfant et aussi le nom d'un fromage et aussi le nom d'un monument camembert c'est pas le nom d'un monument et d'une couleur camembert c'est pas le nom d'une couleur rouge c'est bien et le nom d'une pâtisserie train faites encore une effort vous allez trouver paris-brest oui c'est ça j'aime pas quand ils me félicitent et le nom d'un pays je me souviens pas travailleurs de tous les pays pas tous juste un citez-en un camembert non je les emmerde moi camembert j'ai pas envie de répondre à leur questions j'ai pas envie d'être encouragé j'aime pas l'école je les emmerde camembert camembert camembert j'encule la psychologue de service je l'encule je l'emmerde et quand je lui dis elle répond juste que je suis pas gentil et elle continue de sourire pauvre folle."
"J'aurais envie de demander à un malade de A. si la vie n'est pas plus joyeuse quand perdant à chaque instant on ne sait plus ce qu'on perd ou quand on a déjà tout perdu ou quand on n'a plus rien à perdre ou quand perdre n'a plus de sens."