La circulaire et autres racontars, de Riel Jørn
parution 08/2006 - 250 p - traduit du danois
J'avais déjà lu et beaucoup apprécié "Vierge froide et autres racontars" qui était à lire dans le cadre du club de lecture, j'ai donc choisi de lire un autre "racontars" de Jørn Riel.
Jørn Riel a vécu 16 ans dans le nord-est du Groenland, dans une vieille base d'expédition de l'Ile d'Ella .. Il a entendu des récits, il a été mêlé à des évènements... et il a transféré dans ces recueils de racontars, avec une gouaille magnifique, les instantanés du quotidien du Haut-Arctique, c'est à dire la vie des chasseurs et trappeurs qui vivent pendant plusieurs mois en autarcie.
"La circulaire" est le neuvième et dernier racontars. On y retrouve avec bonheur les personnages des autres recueils : Anton, Herbert, William-le-noir, Mads Madsen, Valfred ....
Une circulaire est tombée : "Le ministère danois des Affaires Groenlandaises informe qui de droit de la fermeture des stations de chasse du nord-est du Groenland dès la fin de la prochaine saison d'été, à la suite d'une décision politique....". C'est donc la dernière saison de chasse. Mais comment envisager sa vie dans la civilisation quand on a vécu pendant des années en reclus ?
On retrouve dans ce livre une écriture géniale, drôle, directe, émouvante. Lecture extraordinaire qui nous permet de suivre dans un langage "fleuri", la vie de ces hommes qui vivent loin de tout, dans la nuit polaire, en binôme.
Si vous ne connaissez pas cet auteur, je vous le conseille vivement. Commencez par "Vierge froide et autres racontars" qui est le premier, et qui permet de faire connaissance avec ces hommes, et ensuite, continuez..
Extrait : " "Au fait Anton, j'ai l'intention de démarrer une blanchisserie quand je rentre au Danemark"
Anton hocha la tête et murmura "bonne idée". Il leva les bras et suspendit une carcasse de renard privée de sa fourrure à un crochet au plafond.
"Vraiment, tu trouves?" Herbert regarda son ami , agréablement titillé.
"Qu'est ce que je trouves vraiment?" Anton le regarda d'un air absent. Ses neurones se débattaient avec une rime problématique qui devait conclure un poème fleuve narrant une tuerie de baleines dans une brèche de glace, que les Esquimaus appellent un saugssat. Lors de son dernier voyage, Anton avait vu une telle brèche, grouillant de baleines blanches, et le poème s'était immédiatement imposé à son esprit. Il souhaitait dramatiser l'épopée avec la lueur de la lune au-dessus de la brèche, mais il restait empêtré dans cette dernière rime, pourtant si essentielle.
"Ben que c'est une bonne idée, ma blanchisserie à vapeur", répéta Herbert.
Anton abaissa son couteau et regarda Herbert. Puis, il murmura pour lui même : "Lueur, sueur, vapeur, labeur, lueur, vapeur, putain de bordel, vapeur et lueur! T'es génial, Herbert. Écoute :
Et le sang du saugssat, tel une vapeur,
monta vers la lune et sa lueur."
Ce soir là, on n'aborda pas les projets de blanchisserie, parce que Herbert fut très occupé à recopier le poème d'Anton pour l'intégrer au recueil de chants du nord-est groenlandais sous le numéro 229, avec pour titre Vapeur de sang."