Le pavillon des cancereux, de Soljenitsyne Alexandre
parution 1974 (en poche 2005) , traduit du russe.
Cuné avait parlé de chef d'oeuvre, alors, malgré le titre peu engageant, malgré l'auteur que je pensais trop ardu pour moi, malgré le thème pas gai, je me suis lancée. Bon, j'ai mis du temps à le lire mais je n'ai pas été déçue.
Ce livre est tiré d'une partie de la vie de Soljenitsyne : en 1955, au début de la déstalinisation, Alexandre Soljenitsyne est exilé dans un village du Kazakhstan, après huit ans de "goulag". Il apprend alors qu'il est atteint d'un cancer. Guéri, il entreprendra quelques années plus tard le récit de cette expérience.
Il y a deux grands thèmes dans ce livre :
- le cancer, maladie éprouvante qui a un impact sur le physique mais aussi sur le moral et la façon de voir sa vie
- la Russie en 1954, deux ans après la mort de Staline. On y vit dans des appartements collectifs, il n'existe aucune liberté de paroles ou de mouvements, des familles entières vivent en déportation, pour des raisons souvent floues...
Dans une salle commune d'un hôpital de Russie, des hommes vont se rencontrer. Voisins de lits mais éloignés par leur existence, ces hommes privés de droit pendant des années se retrouvent confrontés à la mort.
Ils vont parler de la vie, de la mort, du droit du malade à disposer de sa propre vie, de la liberté, de l'amour...
Il y a Roussanov, haut fonctionnaire qui suit à la lettre le plan , Kostoglotov "relégués à vie" après être passé par les camps, Akhmadjan soldat "de base" qui exécute sans réfléchir, Chouloubine qui a toujours plié l'échine pour élever sa famille et qui se rend compte au seuil de sa vie que, de concession en concession, il n'a rien vécu comme il l'aurait voulu. Il y a aussi les infirmières et les docteurs, les visites...
Très bon livre qui permet de se faire une bonne idée de la vie en Russie à cette époque avec en plus des très belles discussions.
A découvrir. Merci Cuné ☺
Extrait : "Et c'est ce dernier plan d'eau que les médecins veulent m'enlever. Au nom de je ne sais quel droit (il ne leur vient pas à l'esprit quel est ce droit), ils décident sans moi et à ma place de m'appliquer ce terrible traitement qu'est l'hormonothérapie. Car enfin, c'est un morceau de fer chauffé à blanc que l'on vous applique une seule fois et on fait de vous un infirme pour toujours. Et cela paraît si banal dans le train-train banal de la clinique !
Il m'était déjà arrivé de me demander,et je me le demande de plus en plus à présent, quel est tout de même le prix maximum de la vie? Que peut-on donner pour la conserver, et où est la limite? Comme on vous l'enseigne maintenant à l'école : "Ce que l'homme a de plus cher, c'est la vie, elle ne lui est donné qu'une fois". Par conséquent : s'accrocher à la vie à n'importe quel prix... Nous sommes beaucoup à qui les camps on fait comprendre que la trahison, le sacrifice d'être bons et démunis était un prix trop élevé, et que notre vie ne le valait pas. Quant à la servilité, la flatterie, le mensonge, les avis, au camp, étaient partagés : certains disaient que ce prix-là était acceptable, et c'est peut-être vrai.
Oui, mais avoir la vie sauve au prix de tout ce qui en fait la couleur, le parfum, l'émotion? Obtenir la vie avec la digestion, la respiration, l'activité musculaire et cérébrale, et rien de plus. Devenir un schéma ambulant. Ce prix là, n'est-ce-pas un peu trop demander? N'est ce pas une dérision? Faut-il le payer? Après sept ans d'armée et sept ans de camp - deux fois sept ans, deux fois le délai des fables ou de la Bible- perdre l'habitude de distinguer un homme d'une femme- n'est ce pas un peu trop demander?"