Vaincue par la brousse, de Lessing Doris
écrit en 1950, parution en déc 2007
Doris Lessing a reçu le prix Nobel de Littérature cette année. Le comité Nobel a choisi de récompenser "la conteuse épique de l'expérience féminine, qui avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire scrute une civilisation divisée".
Elle a vécu une partie de son enfance en Rhodésie ou sa famille y cultive du maïs. En constante opposition avec sa mère, elle quitte rapidement l'école, et, à quinze ans, se trouve un emploi d'aide-soignante. A 36 ans, ne supportant plus l'apartheid elle quitte la Rhodésie et s'installe à Londres avec son fils ou elle entame sa carrière d'écrivain. Son oeuvre est souvent basée sur son expérience africaine et son enfance. Elle y décrit le conflit des cultures, les injustices de l'apartheid...
"Vaincue par la brousse" est son premier roman.
L'histoire se passe en Rhodésie à la fin des années 40. Mary est une jeune femme libre et sensible qui a quitté tôt sa famille de cultivateur pauvre. Elle vit en ville, a un travail de secrétaire qui l'intéresse, sort souvent avec des amis... mais des réflexions sur son célibat la pousse à chercher à se marier. Elle va rencontrer Dick, fermier dans le veld et va l'épouser, retrouvant avec horreur la vie de pauvreté et de solitude qu'elle avait fuit. Elle n'a rien à faire, refuse, par orgueil et fierté, le contact avec les autres fermiers, traite les "nègres" avec un ton acerbe et sarcastique et s'enferme petit à petit dans une dépression sans fond. Lui aime sa terre et sa ferme et à du mal à comprendre sa femme, sa torpeur et sa souffrance.
Une très belle écriture, douce et dure. Une description tout à fait juste des caractères, des émotions. Une histoire lente, pleine de désespoir et de chaleur. J'ai beaucoup aimé cette respiration, la montée en puissance de l'histoire qui devient haletante jusqu'au final. Très beau livre. J'ai envie d'en lire d'autre de cette écrivain.
Extrait : " Il avait vécu tant d'années uniquement en compagnie des travailleurs indigènes, occupé à tirer ses plans pour la prochaine saison, que son horizon avait finit par se rétrécir à la mesure de sa vie et il ne pouvait rien imaginer d'autre. Il ne pouvait surtout pas s'imaginer lui-même ailleurs que dans cette ferme dont chaque arbre lui était aussi familier qu'aux nègres et ceci n'était pas une figure de rhétorique; il connaissait chaque parcelle du veld qui le faisait vivre, et l'amour qu'il lui portait n'était pas le sentiment tendre et romanesque du citadin, non, ses sens s'étaient affinés au point qu'il percevait le bruit du vent, le chant de l'oiseau, sentait l'odeur de la terre, les moindres variations de température. Éloigné de la ferme, il ne ferait que dépérir. Certes, il avait envie de réussir, d'y vivre confortablement, de façon que Mary pût avoir tout ce qu'elle désirait si ardemment et surtout pour qu'il leur fût permis d'avoir un jour des enfants. Les enfants, il souhaitait tant en avoir, même à présent, et il n'avait pas renoncé encore à l'espoir qu'un jour, peut-être... Il n'avait jamais compris que l'avenir que Mary imaginait était hors de la ferme et que c'était là le but qu'il devait l'aider à atteindre. Quand il s'en rendit compte il lui sembla que sa vie chancelait sur ses assises. Il regardait Mary avec une sorte d'horreur, comme une créature étrangère qui n'avait pas le droit de vivre avec lui et de lui dicter ce qu'il avait à faire. Mais il ne pouvait se permettre de la juger ainsi car il comprenait ce que sa présence signifiait pour lui depuis qu'elle avait tenté de fuir."