Ouragan, de Gaudé Laurent
Premier livre de la rentrée littéraire que je lis, et c'est une très bonne pioche.
A la nouvelle Orléans, on attend l'arrivée prochaine d'un ouragan. Évacuation de ceux qui ont des moyens de locomotion, attente anxieuse de ceux qui reste. L'ouragan dévaste la ville, apportant son lot de chaos et d'inondations, libérant les alligators des marais. Plusieurs personnages, cabossés de la vie, vont alors se croiser, se retrouver, s'aimer, se pleurer ou se tuer, au gré de la montée des eaux ou de la décrue.
Ce que j'ai préféré dans ce livre c'est l'écriture magistrale. Il peut y avoir plusieurs personnes qui parlent dans une même phrase sans que l'on soit perdu. On est envoûté, emporté par l'ouragan.
C'est un livre fort et puissant avec une construction originale.
Midola, Stéphie ont elle aussi beaucoup aimé.
Extrait : "Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j’ai ouvert la fenêtre ce matin, à l’heure où les autres dorment encore, j’ai humé l’air et j’ai dit : “Ça sent la chienne.” Dieu sait que j’en ai vu des petites et des vicieuses, mais celle-là, j’ai dit, elle dépasse toutes les autres, c’est une sacrée garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d’eau à l’approche du train. C’était bien avant qu’ils n’en parlent à la télévision, bien avant que les culs blancs ne s’agitent et ne nous disent à nous, vieilles négresses fatiguées, comment nous devions agir. Alors j’ai fait une vilaine moue avec ma bouche fripée de ne plus avoir embrassé personne depuis longtemps, j’ai regretté que Marley m’ait laissée veuve sans quoi je lui aurais dit de nous servir deux verres de liqueur – tout matin que nous soyons – pour profiter de nos derniers instants avant qu’elle ne soit sur nous. J’ai pensé à mes enfants morts avant moi et je me suis demandé, comme mille fois auparavant, pourquoi le Seigneur ne se lassait pas de me voir traîner ainsi ma carcasse d’un matin à l’autre. J’ai fermé les deux derniers boutons de ma robe et j’ai commencé ma journée, semblable à toutes les autres. Je suis descendue de ma chambre avec lenteur parce que mes foutues jambes sont aussi raides que du vieux bois, je suis sortie sur le perron et j’ai marché jusqu’à l’arrêt du bus. Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, je prends le bus tous les matins et il faudrait une fièvre des marais, une de celles qui vous tordent le ventre et vous font suer jusque dans les plis des fesses, pour m’empêcher de le faire."