Rencontre avec Laurent Gaudé
Hier soir, il y avait une rencontre organisée à Rennes avec Laurent Gaudé. Comme je suis fan de cet écrivain, je n'allais pas manquer ça !
Il était tout gentil et impressionné face à la salle pleine. Les deux premiers rangs étaient occupés par une classe de lycéens qui vont étudier Eldorado. La journaliste a souligné qu'il était apprécié par ce public, le Goncourt des Lycéens lui ayant été remis pour "la mort du roi TsongorTsongor", avant qu'il reçoive, l'année suivante, le Goncourt pour "le soleil des Scorta".
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Voici ce que j'ai pu noter :
" Ouragan, c'est clairement et assez précisément né de Katrina qui a frappé la Nouvelle Orléans en 2005. Le nom n'est pas cité dans le livre parce que ça reste un roman, mais je me suis calé sur les documents et les photos que j'ai conservé. Des images de détresse, de grand dénuement alors qu'on est dans un pays qui est une grande puissance mondiale. Ça m'a frappé. Quand je retrouvais les photos, l'émotion était intacte et me donnait envie de faire parler les personnages. Il y a deux tragédies dans Katrina : la première est lié à l'évènement lui-même, la destruction, et la deuxième est d'ordre politique : dans cette ville, les noirs et la pauvres ont été oubliés. Katrina a fonctionné comme un révélateur de l'état social et racial du pays.
Le roman est né de la réalité. J'ai travaillé en deux mouvements. Le premier est un travail de récolte de documents pour commencer à construire mon livre. Quand les personnages commencent à se dessiner, c'est eux qui priment. C'est le deuxième mouvement. J'arrête les recherches sur ce qui s'est passé et c'est les personnages qui prennent le relais.
La vieille Joséphine : C'est la mémoire de la Nouvelle Orléans. C'est un personnage de lutte et de combat. Elle est forte d'avoir gagné. Elle est née d'une photo d'un Paris Match de l'époque ou on voyait une vieille femme noire accablée et faible qui avait mis sur ses épaules le drapeau américain. Ce qui m'a frappé c'est le lien entre la faiblesse de la vieillesse et la lutte.
Couple : J'avais envie de parler d'une histoire d'amour. Les deux sont dans un passage difficile, et même si c'est une épreuve, l'ouragan va les relever.
Groupe de prisonniers : C'est véridique, je l'avais trouvé dans la presse. Les chiens et les gardiens ont été évacués mais les prisonniers ont été "oubliés". C'était la contraction de tout le thème qui m'intéressait : l'oubli des pauvres. Et c'était aussi intéressant de voir l'état paradoxal du prisonnier qui est libre dans une ville ou la liberté ne sert à rien.
Le révérend :L'ouragan fonctionne pour chacun comme une révélation. Pour le révérend, c'est la folie qui va remonter. Les autres ce recentrent pendant que l'ouragan avance, alors que lui se perd en participant à l'accablement.
Tous les personnages tournent autour de la notion de fidélité : ce qu'il reste quand tout s'écroule. Et le révérend perd pieds parce qu'il n'a pas de point de fidélité."
Lecture d'un passage sur la plateforme pétrolière
Style : "Joséphine parle en "je" parce que j'avais envie d'entendre sa voix. Pour le couple, la troisième personne du singulier s'est imposée parce qu'ils sont dans la fatigue de l'existence, il sont donc mutiques, dans le silence.
J'ai énormément travaillé sur la structure du livre. Cela m'a demandé beaucoup de travail. Quand est ce que je coupe un personnage pour aller vers un autre, pour qui, pour combien de temps. Savoir comment le livre avance de personnage en personnage a beaucoup bougé.
Les fragments du livre avance pour suivre les 5 personnes, mais j'ai envie de le traiter de manière chorale, car il vive un socle commun très fort. C'est pour cela que deux fois dans le livre plusieurs personnages parlent dans la même phrase."
Lecture d'un passage sur Joséphine
Questions du public : "on retrouve dans vos livres des mythes fondateurs : Eldorado, déluge, enfer . Pourquoi ?"
"Je ne sais pas vraiment. Il y a en fait deux raisons à ce fil conducteur. Une raison littéraire : j'aime le thème du théâtre et de la tragédie. Et une raison humaine : on fait tous l'expérience de la perte, du passage du bonheur au malheur. C'est des questions d'intérêts d'hommes."