Rencontre avec Mathias Enard
Jeudi soir, il y a avait une rencontre dans le centre culturel de Rennes avec Mathias Enard, lauréat du prix Goncourt Lycéens.
Ces rencontres sont organisées chaque année par l'association "bruit de lire" qui a lancé le prix Goncourt Lycéens et qui a pour vocation de sensibiliser les jeunes au milieu du livre en les faisant rencontrer des auteurs, des éditeurs, des scénaristes ou journalistes.
La salle n'était pas aussi complète que d'habitude, les intempéries ayant bloqué les volontés.... mais nous étions quand même nombreux pour accueillir Mathias Enard, trois lycéens, trois académiciens (Didier Decoin, Edmonde Charles Roux et Patrick Rambaud) ainsi que le journaliste interviewer.
Questions aux lycéens ; qu'est ce qui vous a frappé ou qu'est ce que vous avez retenu du livre de Mathias Enard ?
Audrey : C'est l'écriture qui m'a touché. Cette forme de livre poème. La rentrée dans le livre est assez abrupte, et après...
Marie : C'est surtout le voyage et l'ambiance orientale du livre qui m'a plu. C'était intéressant de voir Michel Ange en temps qu'humain.
Lucas : Ce qui m'a touché c'est la poésie du livre.
Questions aux académiciens : votre sentiment sur la rentrée littéraire.
Edmonde Charles Roux : Nous étions quelques uns à avoir choisi ce livre avant l'arrivée du Tsunami Houellebecq qui a remporté la bataille. Mais il y a eu un moment ou le candidat numéro 1 était Mathias Enard. Ce n'est pas l'habitude de l'Académie, en général c'est plus feutré. Moi, j'ai adoré ce livre authentique, vrai, d'aujourd'hui, neuf. C'est une leçon d'ouverture.
Didier Decoin : J'ai trouvé que la rentrée était faible. A part Maylis de Kerangal (bluffant), Houellebecq, Olivier Adam que j'aimais bien, il y avait Mathieu Enard. Il a été mon chouchou pendant tout l'été. Je le compare aux "Mémoires d'Adrien" de Marguerite Yourcenar. C'est une littérature assez exceptionnelle. Le raffinement dans son état le plus extrême. Le livre a cette transparence, ce côté cristal. C'est un livre unique qui a fait raisonner plein de choses personnelles. Bravo à Mathias Enard de l'avoir écrit, et merci aux lycéens de l'avoir couronné !
Réponse de Mathias Enard :
Je reçois des salves de compliments ce qui est une situation assez extraordinaire. Pour moi, si il y avait de la poésie dans le livre, c'était plutôt de la poésie persane incarnée par Mesihi.
Ça a été une grande surprise et une immense joie de voir que les adolescents étaient sensibles aux bruits de la langue tout en se laissant charmer par une belle histoire.
Recevoir les compliments de l'Académie Goncourt, pour un auteur français, c'est ce qu'il y a de mieux.
Journaliste :
Votre avant dernier livre "zone", était composé par une seule phrase sur 500 p. Vous nous avez surpris avec ce roman plus petit qui prend des allures de conte ou de fable tout en gardant un engagement d'écriture. C'est un pas de côté ou un petit frère du précédent?
Réponse de Mathieu Enard :
Tout a commencé à la villa Medicis à Rome ou j'écrivais "zone". J'aimais aller dans la bibliothèque, prendre des livres au hasard, et j'ai pris un livre sur la vie de Michel Ange. J'ignorais la réalité de l'homme, l'artiste est effacé derrière ses oeuvres. J'ai appris qu'il avait failli aller à Constantinople. Je me suis documenté. On relatait souvent cette invitation du sultan. J'ai trouvé un faisceau d'indices, même si il n'y est pas allé, il envisageait de le faire. J'ai poursuivi l'enquête sur la vie politique de la Turquie de l'époque. Tout ça était là pour que je le découvre. Dans le livre tout est faux et tout est vrai. Je m'en tiens aux historiens qui ont travaillé sur Michel Ange. C'était un homme colérique.
Pourquoi vous finissez le livre par ces mots : "pour le reste, on n'en sait rien".
Parce que c'est le début du livre ! C'est parce qu'on en sait rien que la fiction peut exister. C'est dans cette phrase que se construisent les romans.
J'avais envie de donner des pistes pour ancrer le roman dans un contexte historique. Tout est une question de point de vue. Pourquoi l'anecdote de l'invitation de Michel Ange prend sens aujourd'hui ?
J'étais embêté que ce soit pour réaliser un pont. En architecture il n'y a pas 36.000 manières de réaliser un pont. Ensuite on peut faire une approximation rapide : un pont entre l'Est et l'Ouest ... J'ai eu envie de changer, qu'il construise une coupole.. Mais il fallait que je m'en tienne à l'anecdote, la remplir sans la modifier.
Edmonde Charles Roux : J'habite Marseille qui est la porte de l'Orient. La Turquie existait dans la vie quotidienne des Marseillais. J'ai été passionnée par l'Islam, par la Turquie, par le raffinement de la cour Turque.
Questions du public aux lycéens : qu'est ce que ça vous apporte de rencontrer un auteur d'un livre que vous avez aimé?
Lucas : ça change le regard du livre quand on a rencontré l'auteur. Il y a une relation entre l'auteur et le livre qui est importante.
Audrey : On voit comment le roman a été mené, et vous nous donnez une part de l'amour que vous avez eu pour l'écriture.Si je suis amenée à le relire, j'aurais une autre vision.
Questions du public ; qu'avez vous pensé du livre de Houellebecq?
Marie : les délégués régionaux n'ont pas tellement aimé, il le trouvait trop compliqué, il n'y avait pas vraiment de sens et de but, alors que ma classe l'avait trouvé intéressant.
Audrey : Ce n'est pas le roman qui a le plus plu. Il a peint une fresque de notre société, ce qui était intéressant
Lucas ; on n'a pas apprécié.
Didier Decoin : je ne m'attendais pas à ce que l'on dise que c'est un lire compliqué..Moi j'ai beaucoup aimé son livre, beaucoup d'humour. Mais peut être que pour 15/16 ans c'est difficile à comprendre.
Questions du public aux académiciens : Houellebecq l'a raté deux/ trois fois. On a entendu qu'il fallait qu'il s'assagisse pour l'avoir. Le fait qu'il est enlevé la partie provocation l'a aidé à l'avoir ?
Didier Decoin ; Il ne l'a pas "raté". La presse à fait de Houellebecq une "Jeanne d'Arc", mais il n'a juste pas été élu ! Ce livre là était bon alors que les autres l'étaient moins. Il était autrement provocateur quand il met en scène sa mort et la disparition de son travail d'artiste. Ce n'est pas le côté consensuel qui a fait qu'il a été élu.
Patrick Rambaud : Son côté martyr me fatigue ! Maintenant, il l'a eu, on est tranquille !
Edmonde Charles Roux : A-t-il mis de l'eau dans son vin pour l'avoir? Et alors ! Il y a une provocation absente alors que dans ces autres livres il y avait une provocation très forte. Il a, en effet, écrit un livre avec l'idée d'enlever ce qui pouvait choquer, pour si jamais il était reconnu !-
Question du public à Mathias Enard : pouvez vous nous parler du personnage de la danseuse androgyne?
Il y a une présentation triangulaire des personnages :
- Michel Ange, Chrétien, Rome
- Mesihi, Musulman, Istambul
- Danseuse, Juive, Grenade
Dans la poésie persane,il n'y a pas de genre. On ne sait jamais si les personnages sont des hommes ou des femmes. Je voulais garder cette ambiguïté.
Et voilà, une agréable soirée de rencontre et d'échanges. Pour mon avis sur ce livre, vous pouvez allez ici.