L'invention de nos vies, de Tuil Karine
Et bien j'ai passé un très bon moment plongée dans ce livre. C'est dense, il y a de la matière, des rebondissements, de l'actualité, de l'amour, du désespoir ... et une certain questionnement sur la vie.
Années 1980. Faculté de droit de Paris. Samuel et Nina sortent ensemble. Samuel vient d'apprendre que ses parents qui l'ont élevé dans leur religion juive, l'ont en fait adopté. Il les rejette, se sent trahit. La mère de Nina a disparu avec un homme quand elle était encore petite, son père ne s'en est jamais remis. Tous les deux portent une blessure, une faille. Ils font la rencontre de Samir, une jeune étudiant qui parait sûr de lui, veut réussir, sortir du ghetto de la banlieue. Les trois deviennent inséparables.
A la suite d'un "incident", les trois se séparent. Ce n'est qu'une vingtaine d'années après que le couple apprend que Samir est devenu un grand avocat américain, alors qu'eux ont arrêté leurs études et vivotent en banlieue parisienne.
La première partie du livre se passe plutôt à Paris ou l'on suit Samuel et Nina, leur couple un peu bancal qui repose sur une fêlure, leur amertume de n'avoir pas percé, lui dans l'écriture de roman, elle dans la mannequinât, leur vie sans aspérité qui est en total décalage avec la vie clinquante de Samir.
La deuxième partie se situe plus à New York ou l'on suit Samir. Il s'est construit une vie à partir d'un mensonge. Un prix lourd à payer pour avoir la gloire, l'argent et la reconnaissance. Un mensonge qui risque d'être dévoilé et de détruire sa vie.
Un roman multiple sur le mensonge, l'identité, la manipulation, la discrimination, l'importance des racines et de la culture d'origine.
J'ai aimé la construction du livre et le style (j'avoue avoir eu un peu de mal au départ avec les phrases très ciselées et les synonymes séparés par un "/" dans les phrases, mais une fois habituée, j'ai trouvé que cela donnait beaucoup de rythme). J'ai aussi aimé les multiples rebondissements qui résonnent dans l'actualité et la compléxité des personnages que l'on aime et déteste tour à tour ....
Un bon livre sans plus pour Sylire.
Extrait : "La fabrique des élites, il sait faire. Il a réussi, non ? Et dans ces moments de satisfaction, de gloire personnelle, il se persuade qu'il a fait les bons choix, se sent fort, fier, mais très vite, la honte ... la honte et l'humiliation ... la honte d'avoir trahi la mémoire de son père, ignoré l'histoire des siens, évacué leurs souffrances ... la honte de ne pas avoir assumé ce qu'il était ... la honte d'avoir forgé sa réussite sur un mensonge ... la honte d'avoir abdiqué ... la honte d'avoir abandonné sa mère ... la honte de n'avoir jamais tenté de la reloger dans un appartement convenable ... C'est son choix, elle n'a jamais voulu quitter son appartement en dépit de ses propositions répétées, sa vie c'est sa cité, sa vie, c'est cette merde, oui, mais ça grouille de vie, ses voisines sont là en cas de problème, des gosses du quartier lui font ses courses, elle n'est pas seule, alors que là bas, vers chez les Riches, ils la laisseraient crever. Ils ne sauraient même pas que j'existe ! Tu parles, songe-t-il, on s'entre-dévore partout."