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Ecoutez nos défaites, de Gaudé Laurent
parution 08/2016 - 281 p. 
Un auteur que je lis de manière régulière, touchée par son écriture et ses sujets. Et ça n'a pas manqué avec ce roman dense et magnifique.
Trois histoires qui se recoupent se passent de nos jours :
Assem Graïeb est un agent des services secrets français depuis plus de 10 ans. Il est envoyé en mission dans des pays en guerre au Moyen-Orient ou dans le Sahel, et si jusque là il n'a jamais failli, il sent qu'il porte un autre monde en lui. Il est envoyé sur une nouvelle mission : prendre le pouls d'un agent de la CIA qui semble s'être retourné contre son pays.
Sullivan, fait partie d'une section des forces spéciales américaines plus connue sous le nom de SEAL Team 6. Le 2 mai 2011, au Pakistan, ce sont les membres de sa section qui sont intervenus pour attaquer un complexe d'habitations au cœur de la ville, complexe où se trouvait Oussama Ben Laden qui fut tué dans ce raid.
Mariam, une femme archéologue d'origine irakienne a voué les dix dernières années de sa vie à retrouver et rendre à son pays les oeuvres d'art qui ont été pillés. L'arrivée de Daech qui détruit le musée de Mossoul l'oblige à retourner sur le terrain.
Et trois histoires plus anciennes qui viennent s'intercaler et se fondre dans les trois premières :
L'histoire d'Hailé Sélassié, empereur d'Ethiopie, à l'aube de la bataille de son pays contre les colons Italien. Lors de cette bataille de Maychew le 31 mars 1935, les troupes éthiopiennes furent décimés et Hailé Sélassié fut obligé de fuir son pays et de se réfugier en exil à Bath.
L'histoire de la guerre de Sécession qui débuta le 12 avril 1861 par la bataille de Fort Sumter et qui fit des milliers de morts. On suit surtout le général Grant surnommé "le boucher".
Et enfin l'histoire d'Hannibal, sa traversée des Alpes avec ses éléphants dans le but de prendre Rome, ses affrontements, sa défaite.
Chaque paragraphe reprend une de ces six histoires. J'ai été un peu perdue au début, mais rapidement le rythme se prend. On ressent toute l'émotion, la douleur, le poids des décisions à prendre, la tension, l'horreur de la guerre et des batailles sanglantes, la folie des hommes.
Quelque soit le lieu et l'époque, on est devant l'humanité qui se tue. Chaque victoire est aussi une défaite, celle des vaincus bien sûr, mais aussi celle des vainqueurs qui ont été trop loin, qui sont devenus des barbares couverts du sang des soldats morts au combat.
Écoutez ses défaites, c'est aussi transmettre : par les oeuvres d'art qu'essaye de sauver Mariam, par la vie qui continue, par les champs de bataille recouverts de corps qui vont se transformer au fil des ans en terres cultivées, en paysage doux et paisibles.
C'est un roman très dense qu'il faut prendre le temps de lire et de digérer. Un magnifique roman sur le thème de la victoire et de la défaite. Une note d'espoir à travers l'amour, l'art et la culture. Une écriture ciselée et fluide qui donne envie de relire plusieurs fois des phrases.
Un livre à découvrir.
Extrait : "Quelle vie sera possible après tout cela ? Comment pourra-t-il oublier l'odeur de la poudre, la vision des cadavres ? Il est resté trop longtemps dans la guerre. Des jeunes gens sont morts d'avoir suivi ses ordres. Et pourtant Julia continue à lui parler de Lincoln, l'exhorte à s'accrocher aux mots du président. Elle doit sentir qu'il se perd. Elle répète, au fil des lettres qu'elle lui envoie, que l'Histoire leur donnera raison, que l'abolition de l'esclavage est un progrès considérable, mais il n'entend plus, ne relit plus les lettres pour essayer d'être touché par ces mots. Tout lui parait trop loin."
"Grant songe à cet instant que la victoire est une épreuve. Il laisse les confédérés en haillons passer et il lui semble que c'est lui qui est humilié, pire, il sent que cette humiliation ne le quittera plus, qu'il va devoir apprendre à la porter en lui, même quand les cris de victoire retentiront - car ils retentiront -, même là elle sera en lui, sourde, pénétrante, il ne pourra pas la fuir, et jusqu'à sa mort il y aura cela en partage entre lui et les troupes ennemies : cet instant-là, tête basse, où l'homme est allé si loin qu'il n'en était plus un."
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