Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu
Un roman prêté par une collègue. Comme elle n'était pas plus enthousiaste que ça, je n'en attendais pas trop... et j'ai bien aimé.
Nous sommes dans une petite ville de l'Est de la France en 1992. L'industrie des hauts fourneaux qui a fait vivre la région est en chute libre. C'est l'été, il fait chaud, il n'y a rien à faire. La jeunesse locale traîne son ennui et son désoeuvrement le long du lac pollué. Ils sont somnolent, haineux, fument des pets, boivent des bières. Les garçons rêvent de choper des filles, les filles se laissent peloter ... C'est dans cette atmosphère de délitement qu'Anthony et son cousin, 14 ans, vont connaître leur premier flirt. Là aussi que Hacine va s'enfoncer dans la petite délinquance. Et pendant ce temps là, les parents vivent une vie entre parenthèse, faite de fin de mois difficile, d'alcool et d'attente d'un avenir meilleur sur fond de chômage.
On va suivre la vie de ces ados et leurs parents sur six ans (quatre étés), de l'âge de l'entrée dans l'adolescence à l'entrée dans l'âge adulte.
S'oublier dans la drogue et l'alcool, chercher à fuir cette ville, prendre des risques sur une moto, se sentir vivre et exister grâce à des menus larcins ou des trafics de drogue ...C'est sombre, étouffant et désespérant.
Et pourtant il y a des points positifs :
- Ces jeunes garçons qui se la jouent caïds et sont déstabilisés face à l'amour. Finalement bien plus sensibles et fragiles qu'ils ne veulent le montrer.
- Même si il n'y a pas de connivence avec les adultes, les jeunes les respectent et craignent leurs engueulades.
- Et surtout c'est plein de poésie grâce à une écriture sensuelle. Il y a de nombreuses petites phrases que j'ai noté, des descriptions d'atmosphères, d'ambiance très bien décrites. On ressent l'ennui, l'impossibilité de sortir de son environnement, la misère et la torpeur.
Quelques bémols cependant
- sur les personnages assez caricaturés,
- le dernier chapitre "en trop". Un chapitre qui éteint les lueurs d'espoir allumés quelques temps auparavant.
- le parti-pris de l'auteur qui arrive à rendre négatif ces petites vies de travail, de maison en lotissement, de barbecue entre voisins.
Le portrait âpre d'une jeunesse perdue entre alcoolisme, petits boulots et sexe. Une lecture intéressante et dont j'ai beaucoup aimé l'écriture même si il m'a manqué un peu plus de lumière pour casser le côté caricatural.
Extrait : "L'éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité, tout le monde fait ce qu'il peut. Qu'on saigne ou qu'on s'en foute, le résultat recèle toujours sa part de mystère. Un enfant naît, vous avez pour lui des projets, des nuits blanches. Pendant quinze ans vous vous levez à l'aube pour l'emmener à l'école. A table vous lui répétez de fermer la bouche quand il mange et de se tenir droit. Il faut lui trouver des loisirs, lui payer ses baskets et des slips. Il tombe malade, il tombe de vélo. Il affûte sa volonté sur votre dos. Vous l'élevez et perdez en chemin votre force et votre sommeil, vous devenez lent et vieux. Et puis un beau jour, vous vous retrouvez avec un ennemi dans votre propre maison. C'est bon signe. Il sera bientôt prêt. C'est alors que viennent les emmerdes véritables, celles qui peuvent coûter des vies ou finir au tribunal."
"Mais au fond, le problème d'une vie sans alcool [...] c'était le temps. L'ennui. La lenteur et les gens."
"Simon s'avisa de l'endroit où ils venaient d'échouer. C'était une de ces zones ambiguës où des rares maisons, avec des jardinets, des clôtures, des volets de couleur, faisaient un archipel inconsistant. Il y avait des panneaux indicateurs, des fils électriques, du vide entre des gens. Ce n'était pas la campagne, ni une ville, pas non plus un lotissement. Un arrêt de bus entretenait la fiction d'un lien avec la civilisation."