murène

1956. François a tout juste vingt-deux ans quand, à la suite d'une électrocution, on est obligé de l'amputer de ses deux bras, à hauteur d'épaule. Le voici qui ressemble au mannequin Stockman que ses parents utilisent tous les jours dans leur atelier de couturier. Que peut on faire quand on ne peut plus serrer quelqu'un dans ses bras, manger, se laver, s'habiller, travailler.

Il faudra tout l'amour d'une mère, la douceur d'une infirmière, la tendresse d'un père, l'estime d'une soeur pour avoir le courage de se relever.

Et il faudra attendre la rencontre avec d'autres infirmes et la renaissance par le sport pour enfin vivre comme un homme.

Ce livre est d'une finesse ! Le thème de départ est assez glauque mais, malgré les difficultés, les humiliations, les souffrances, les regards, les maladresses il y a une dignité, un éclat, un espoir qui illuminent le livre.

Et quelle écriture ! Pas une seule longueur, une sensualité qui se dégage de chaque page, des évocations fortes, une prose vivante et dense qui peut parler de douleurs avec rudesse et poésie. J'ai aimé aussi quand l'auteure prend la parole dans le roman, au deux-tiers du livre, nous donnant son point de vue et sa raison d'écrire. Mon seul bémol est sur l'emplacement des virgules, qui m'obligait parfois à relire certaines phrases pour les comprendre et une fin peut être un peu trop brouillonne.

Une reconstruction pas à pas, une renaissance malgré la souffrance, le dépassement de soi qui force l'admiration. Un roman émouvant et humain.

Extraits :

"Le masseur est aveugle, il a des yeux au bout des bras, il dit, l'extrémité de ses doigts a l'acuité de la pupille. Il a de la chance, les mains voient. Les yeux, eux, ne touchent pas. Les cheveux de Nadine sous la coiffe, le pull en laine de Victor, le satin d'une robe, l'aiguille d'une seringue, le grain du papier, la râpe des peaux de pommes, le moelleux des boules de coton, de la mie de pain sorti du four appellent des gestes impossibles."

"Appareiller, il l'enseigne, c'est tenter de rapprocher les mouvements extérieurs des mouvements intimes, raccorder le désir à la technique. Le médecin expert sait que le décalage entre le dedans et le dehors est inexorable, la perte impossible à combler tout à fait, son métier c'est de réduire autant que possible. Mais ici l'écart est quasi total entre le désir de geste et la réponse technique. Et je vois l'image arrêtée, la commission au complet et François, immobile dans la lumière jaune des plafonniers tandis que le médecin expert se tourne lentement vers moi, incrédule, et me reproche de tenir en échec les formidables progrès de l'appareillage avec ce personnage aux blessures extrêmes. C'est votre faute, il accuse, si je suis impuissant. J'ai conscience de la tragédie que j'impose, que le chirurgien de V. a dû lui aussi prendre en charge. Seulement l'éloge de l'appareillage n'est pas mon objet ici. J'écris sur le pari de vivre, les métamorphoses qu'il engendre, et le réel n'est pas moins cruel que la fiction dans son obstination à défier notre préférence pour la vie."