Au début je n'avais pas trop envie de lire ce livre, peur du voyeurisme, de la violence du geste, mais mes amies de mon groupe de lecture m'ont convaincue, et elles ont bien fait.
Camille revient sur son enfance, le divorce de ses parents quand elle n'avait que 6 ans, sa mère qui lui dit de ne pas être triste, que c'est une liberté retrouvée, la rencontre avec un beau-père qui s'occupe d'elle - contrairement à son père absent -, les étés à Sanary avec toute la famille et les amis, une parenthèse de chaleur et de bonheur.
Elle nous parle aussi de l'éducation que ses frères et elle ont reçu. Sous couvert d'un combat idéologique pour la liberté, sa mère lui parle de son premier rapport à 12 ans, sa tante s'étonne qu'elle soit vierge à 14, sa mère lui achète ses cigarettes à 15 et met son frère à la porte à 17 ans parce qu'il est chiant. La gauche caviar dans toute sa splendeur.
Quand son frère jumeau vient lui dire, à 14 ans, que son beau-père a abusé de lui, il lui demande de l'aider à dire non, mais surtout de ne rien dire. Terrifiée, elle garde le silence, et c'est ce silence qui va la miner. Bonne élève, elle commence à décrocher, n'arrive pas à garder ses ami(e)s, ne veut pas de relations durables et va même jusqu'à faire des embolies pulmonaires. Son corps la lâche.
Il faudra la rencontre avec son mari et la naissance de ses enfants pour qu'elle demande instamment à son frère de parler à leur mère. Mais quand celle-ci apprend l'indicible, elle prend la défense de son mari. Cette mère a été détruite par le suicide de ses parents et n'est plus que l'ombre d'elle même, alcoolique et déprimée.
Un texte très fort qui ne s'appesantit pas du tout sur les faits mais sur leurs conséquences. Pour la victime bien sûr mais aussi pour les victimes collatérales et notamment Camille, meurtie dans son corps et son psychisme par cet inceste.
C'est très bien écrit, bien structuré. Avant l'agression subie par son frère, Camille adorait son beau-père et du coup elle a encore plus de mal à accepter, parler. Suit une longue période de silence qui va augmenter sa culpabilité et lui donner l'impression d'avoir été consentante. De plus, elle sera celle qui fera éclater la famille. Le poids de ce secret est énorme.
Un très beau témoignage.
Extrait : "Les années qui ont suivi ont été des années d'alerte permanente. Des années de dédoublement, de dissociation. Des années de violentes contradictions. La colère n'est pas venue tout de suite. L'incompréhension a subsisté longtemps, suivie du silence, pour un moment encore plus long.
Les années qui ont suivi ont été des années de coupable adoration.
Pendant toutes ces années, plus que de me taire, j'ai protégé mon beau-père. Notamment lorsque mon frère a décidé de le stopper, lorsque Victor m'a dit qu'il tentait de le fuir : "J'en ai rien à foutre de ce con, fais comme si de rien n'était. Fais-le, pour Evelyne. Lui aussi va se suicider et elle ne va pas le supporter."
Pendant toutes ces années, et longtemps après, j'ai protégé mon beau-père.
Pas parce que mon frère me le demandait mais parce que je l'aimais comme un père et que dans l'explosion de notre famille, face à la dérive de ma mère, il était tout ce qu'il me restait."