ce qu'a tu le vent d'ouest

Je reçois pas mal de mail d'agences de presse, mais il est très rare que je donne suite. Là, le "pitch" m'a titillé : "Premier roman de l'auteur (sortie le 4 mars 2021) , celui-ci est une ode à la Bretagne et ne ressemble à aucun autre livre lu auparavant. Ecoutez la mélodie envoûtante de chacune des phrases de l'auteur. Elles partent comme un numéro de haute voltige qui semblent ne jamais finir mais reviennent toujours à bon port." Bingo !

Comme je viens de passer trois jours pétrie de l'air marin de Crozon, c'est le moment idéal pour faire la critique de cet OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) où le vent d'ouest est omniprésent.

Un petit mot de l'histoire : Beaumanoir reçoit un court billet d'un de ses amis, Arthur Storvean, l'enjoignant à le rejoindre à Pennbraz, une "péninsule perdue aux confins incendiaires de la Bretagne armoricaine". C'est à cet endroit, dans un un manoir balayé par les embruns, qu'ils ont vécu jeunes adultes pendant quelques années. Ils étaient quelques uns alors, à suivre Strovean qui régnait tel un gourou sur ses sujets. Mais le déclin est arrivé et le voilà seul, retranché dans sa demeure, jusqu'à ce qu'il appelle Beaumanoir. Pour quelle quête ?

Au-delà de l'histoire, c'est le travail d'orfèvre de la langue qui surprend, déroute et interroge.

Alors, oui, il m'a fallu souvent relire plusieurs fois une phrase pour la comprendre et en tirer toute la substantifique moelle, mais, après-tout, n'est ce pas aussi ce que je recherche dans la littérature : être bousculée par les phrases, les mots, la grammaire ?

Il faut se laisser bercer par la sonorité des mots, se laisser entraîner par le vocabulaire recherché. Comme les tempêtes bretonnes et le vent d'ouest qui balaye le rivage, la langue puissante de l'auteur nous emporte.

Parfois il y a un trop plein, il faut reposer l'ouvrage, rêvasser, avant de reprendre ce texte exigeant réservé aux lecteurs méritants. 

Je suis passée par plusieurs phases lors de cette lecture : enthousiasmée, saoulée, émerveillée, rebutée ...

Alors, cette écriture, fastidieuse ou éblouissante ? Je dirais un peu des deux ! Mais en tout cas un roman qui ne laisse pas indifférent.

Extrait : "L'âme à cet .endroit demeurait saisie par la sournoiserie des roches dont l'affleurement attestait les dangers tapis d'un port soumis à l'éternel mouvement des marées, qu'ainsi découvert, l'estran trahissait jusqu'en ses moindres plissements. Assis sur les partitions de cet amphithéâtre débondé, l'on percevait avec un exceptionnelle acuité le cri gouailleur des volatiles planant sur la béance navrée par l'océan. L'on était vraiment là sur "les humides bords des Royaumes du vent". Rien hormis le caractère sauvage de cette place livrée aux incessantes reconquêtes des marées n'eût mieux fait comprendre l'extrême précarité dont tout règne ici paraissait frappé. On eût dit que les champs des manoeuvres se fût arbitrairement déplacé de quelques milles au large, laissant pour lors les quilles inclinées des voiliers, la tête tranchée des corps-morts emperruqués d'algues vertes et tout ce qui poissait alentour dans un état de déréliction qui ne manquait pas de surprendre tellement il semblait incroyable que tout pût à ce point vaquer avec la mer - la vie n'apparaissant plus de ce côté du bras que dérisoire, à peine réelle.

Contempler le mouillage que l'heure livrait ordinairement à la quiétude des songes avait ici quelque chose d'iconoclaste - comme si j'avais gâché les bleus saisonniers et qu'insensible au rythme de la nature, j'eusse indûment brisé l'harmonie devant assurer l'indolente dérive des astres en déportant sur le cadran d'une horloge dévastée la tragique mesure du temps."