C'était un titre qui était depuis fort longtemps sur ma LAL et que je ne trouvais pas en bibliothèque, je l'ai donc acheté.
Dès les premières lignes, j'ai été surprise par la poésie des phrases. Je suis très attachée à la qualité de l'écriture et du coup j'ai été agréablement surprise ... puis déstabilisée. Il fallait souvent que je revienne sur une phrase, que je la relise afin d'en comprendre la signification. Moi qui aime lire le soir dans mon lit et m'endormir sur mon livre, j'étais là obligée de me concentrer. J'ai failli abandonner ... et puis ... la magie a opéré et j'ai continué à lire ce livre avec beaucoup de plaisir.
Nous allons suivre la vie de Pia de la fin du primaire au baccalauréat. Pia est une jeune fille née dans les années 60, dans une famille d'immigrés italiens venus s'installer en Charente. Paysans, ils vivent chichement de leur exploitation de vaches laitières et de quelques champs. La vie est dure, le travail à la ferme omniprésent, les tâches ingrates, la sécheresse de 1976 fait des ravages, mais il règne dans cette famille une union et un amour de la terre immense.
Et à travers son enfance et son cheminement vers l'âge adulte, Pia va nous confier tout un pan de ce monde paysan qui disparaît petit à petit derrière les crédits, les normes et les grandes exploitations soutenues par les fédérations. Elle nous parle des hameaux qui se dépeuplent, des maisons à vider qui rescellent des secrets de solitude, de son statut de paysanne à l'internat, de la beauté de cette terre arride, de la douceur des yeux de ses vaches, de cette langue italienne que l'école a demandé aux parents de ne pas leur parler, des amitiés, des envies de modernté du frère qui est au lycée agricole, de l'entraide et des suicides.
C'est plein de vie, plein d'ardeur et de spontanéité, de joie et de désenchantement.
Un très beau témoignage plein de sensibilité qui se mérite.
Extraits :
"Je n'aurais jamais fini de galoper. Dans les ornières, dans les flaques, les labours tendres, dans les andains, dans les ruines du temple oublié, dans les traces des disparus. Dans ce qui reste du ciel quand le soleil passe derrière la lanterne des morts.
Ce pays est le mien pour quelque temps encore. Même s'il n'est que de pierre, d'écorce et de terre, je n'ai qu'à le respirer par la peau et garder l'horizon pour voyage. Les frontières tendres, le sorgho et le blé, le maïs trembleront encore sous mes yeux quand j'habiterai une ville".
"Ceux d'ailleurs n'ont pas peur de s'installer ici. Ce n'est pas la place qui manque. On redoute plus les sangliers et les motocross qui meurtrissent les récoltes et les chemins. Les Turcs, les Hollandais, les Portuguais, les Italiens se sont disséminés dans toute la Charente sans qu'on en fasse vent. Il y avait des bras manquants, des creux à combler. Les étrangers sont devenus des consolations."
" Je voudrais qu'il y ait sur nos chemins et jusqu'au ras des villes des orties et des hommes qui s'agrippent à nos rêves éboulés., au souvenir de nos terre travaillées, de nos terres en jachères, de nos terres rêvées, même sauvées d'une décharge ou d'une sécheresse."