Le-Guerrier-de-porcelaine coeur

Un auteur chouchou dont j'apprécie l'écriture poétique, et je n'ai pas été déçue.

L'auteur revient sur une année qu'à vécu son père de juin 1944 à mai 1945. Le petit Mainou a alors 9 ans et vit avec ses parents à Montpellier, en zone libre. Sa mère est enceinte, malheureusement l'accouchement se passe mal et la mère meurt en couche avec sa petite fille. Le père doit repartir dans la résistance et décide de confier son fils à sa grand-mère maternelle qui habite en Lorraine. 

Le lendemain de la mort de sa mère, Mainou est envoyé, caché dans une charrette de foin, pour passer la ligne de démarcation et arrive dans une ferme où vivent sa grand-mère, son oncle et sa tante. Il doit y rester caché dans la cave ou l'ancienne chambre de sa mère. Malheureux et esseulé malgré l'attention de sa famille, Mainou écrit dans un cahier toutes ses journées et ses pensées. C'est drôle, charmant, émouvant, poétique et mélancolique.

A travers le regard de Mainou, on suit l'occupation des allemands, la peur des bombardements, les petits et grands gestes de résistance, l'épanouissement de sentiments amoureux et le deuil à faire au milieu de tout ça. 

On suit aussi une galerie de personnages hauts en couleur, avec la grand-mère sévère et aimante, l'oncle Emile bourru et sensible, la tante Louise "qui a des doigts-saucisse" et qui se réfugie dans la religion ou la belle Sylvia qui lui ouvre son coeur et lui parle de sa mère, cette amie d'enfance qui était son double, sans oublier Marlene Dietrich le cigogneau ou Jean Gabin le hérisson.

La force de Mathias Malzieu est de nous emporter dans sa magie des mots, avec les angines de question de Mainou, ses cours de deuil avec Sylvia à qui il veut faire une déclaration des impôts de l'amour, le trafic de poésie qui est à l'origine de la rencontre de ses parents, ses crises de fugue, les pourlinstant qui durent un peu trop longtemps ou l'envie d'apprendre à toucher ses souvenirs sans s'électrocuter la tête.

Malgré la tension de cette période de fin de guerre en Lorraine et la douleur de la perte d'une mère / soeur / fille, on s'évade en suivant les pensées pleines d'innocence et de merveilleux de Mainou.

Merci à l'auteur pour cette belle parenthèse de lecture. Vous pouvez allez voir ses interviews ici ou ici ou

Extraits :

"Parfois ton souvenir se décolore comme le font les photos avec le temps. Alors je t’écris, ça ralentit le processus de disparition. Tremper la plume dans l’encrier me donne l’impression d’être un capitaine de chalutier. Je rapetisse et embarque en moi-même. La cabine de pilotage se situe à l’intérieur du cœur. Ça fait un boucan émotionnel de tous les diables, mais je me retrouve. Enfin. J’imagine, je remonte le temps des souvenirs. Ils sont tellement usés qu’il m’arrive d’en inventer de nouveaux."

"Sylvia me donne des cours de deuil. Comme ça me fait de la peine de progresser, alors je progresse peu… Sylvia dit que je suis nul en deuil parce que je t’aime trop. Et que même si tu es morte, je ne veux pas me détacher."

"Le regard de grand-mère est doux. Il fait penser au tien mais avec des hiéroglyphes sur la peau tout autour."

"Faut-il s'entraîner à se souvenir ou s'entraîner à oublier ? Je ne me souviens pas toujours très bien, je n'oublie pas très bien non plus."