Ayant passé le mi-temps de ma vie, il était peut-être temps de lire Proust. Un voyage, un poche à emporter, et zou, celui-ci attendait sagement dans ma PAL depuis quelques années.
Je me suis plongée avec délectation dans les pensées du jeune Marcel qui a tant de mal à s'arracher, chaque soir, aux bras de sa mère. Sa solitude, ses lectures, ses promenades en famille, sa tante Léonie et la rencontre de Swann, un voisin qui vient souvent passer la soirée en compagnie de ses parents, et à qui il en veut car il l'empêche, du coup, d'avoir le baiser du soir de sa mère. Un enfant hypersensible qui sait profiter du temps présent et de tout ce qui l'entoure.
Vient ensuite une partie sur ce Charles Swann qui vit à Paris et va intégrer un cercle de bourgeois mondains afin de s'approcher de Odette de Crecy, une femme aux moeurs légères dont il va s'éprendre. J'ai moins aimé cette partie. J'y ai trouvé des longueurs. Même si j'ai apprécié la peinture qu'il fait de la société (non sans humour) avec ses mesquineries, ses coups bas et dépravations, et admiré la fine étude psychologique des personnages qui les rends très vivants, la lenteur des événements m'a parfois fait faire une lecture en diagonale.
Dans la troisième et dernière partie nous voilà revenu avec Marcel, à Paris cette fois-ci. Il a un peu grandi et connaît son premier émoi amoureux avec Gilberte, la fille de Swann.
Donc finalement, je me suis laissée bercer avec plaisir par cette prose sensible beaucoup moins ardue que ce que je pensais (en tout cas pour la première et troisième partie) et avec une pointe d'humour très plaisante. Je viens d'acheter le tome 2 chez un bouquiniste, il n'y a plus qu'à !
Extrait :
"Après le dîner, hélas, j'étais bientôt obligé de quitter maman qui restait à causer avec les autres, au jardin s'il faisait beau, dans le petit salon où tout le monde se retirait s'il faisait mauvais. Tout le monde, sauf ma grand'mère qui trouvait que "c'est une pitié de rester enfermé à la campagne" et qui avait d'incessantes discussions avec mon père, les jours de trop grande pluie, parce qu'il m'envoyait lire dans ma chambre au lieu de rester dehors. "Ce n'est pas comme cela que vous le rendrez robuste et énergique, disait-elle tristement, surtout ce petit qui a tant besoin de prendre des forces et de la volonté." Mon père haussait les épaules et il examinait le baromètre, car il aimait la météorologie, pendant que ma mère, évitant de faire du bruit pour ne pas le troubler, le regardait avec un respect attendri, mais pas trop fixement pour ne pas chercher à percer le mystère de ses supériorités. Mais ma grand'mère, elle, par tous les temps, même quand la pluie faisait rage et que Françoise avait précipitamment rentré les précieux fauteuils d'osier de peur qu'ils ne fussent mouillés, on la voyait dans le jardin vide et fouetté par l'averse, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s'imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluie. Elle disait : "Enfin, on respire!" et parcourait les allées détrempées - trop symétriquement alignées à son gré par le nouveau jardinier dépourvu du sentiment de la nature et auquel mon père avait demandé depuis le matin si le temps s'arrangerait - de son petit pas enthousiaste et saccadé, réglé sur les mouvements divers qu'excitaient dans son âme l'ivresse de l'orage, la puissance de l'hygiène, la stupidité de mon éducation et la symétrie des jardins, plutôt que sur le désir, inconnu d'elle, d'éviter à sa jupe prune les taches de boue sous lesquelles elle disparaissait jusqu'à une hauteur qui était toujours pour sa femme de chambre un désespoir et un problème."
"Jadis, ayant souvent pensé avec terreur qu'un jour il cesserait d'être épris d'Odette, il s'était promis d'être vigilant et, dès qu'il sentirait que son amour commencerait à le quitter, de s'accrocher à lui, de le retenir. Mais voici qu'à l'affaiblissement de son amour correspondait simultanément un affaiblissement du désir de rester amoureux. Car on ne peut pas changer, c'est-à-dire devenir une autre personne, tout en continuant à obéir aux sentiments de celle qu'on n'est plus."