manuel d'exil

C'est sur les recommandations de Luocine que j'ai emprunté cet ouvrage à la médiathèque.

Velibor Čolić y raconte son arrivée en France, lui qui a déserté l'armée bosniaque pendant la guerre de l'ex-Yougoslavie. Dans son pays, il était enseignant de lettres et écrivain. Arrivé en France, il n'est plus que réfugié analphabète

Avec beaucoup d'humour et de poésie, l'auteur revient sur son arrivée en 1992 à Rennes dans un foyer de demandeurs d’asile. Il arpente la ville, apprend le français, drague, se saoule avec d'autres migrants. On le sent perdu, désabusé, mélancolique et en même temps plein de vie et d'espoir. Il ressent le déclassement social, l'anonymat du migrant, et c'est les livres et la littérature qui vont l'aider à surmonter cette épreuve. Il veut écrire, persuadé qu'il sera le prochain prix Goncourt. "Il me faut apprendre le plus rapidement possible le français. Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle."

La première partie nous fait voyager entre Rennes, Paris et Strasbourg où il va être reçu en résidence d'écriture.

Vient ensuite des destinations plus lointaines comme l'Allemagne, Budapest ou Milan.

Et même si l'avenir semble lui sourire, l'exil et la perte d'identité restent gravés au plus profond de lui.

Un témoignage touchant avec un humour pince sans rire et un mal-être palpable.

Extraits :

"Après une longue traversée de l'Europe endormie, j'arrive en France. Je traverse la Croatie, la Slovénie, l'Autriche et l'Allemagne réunifiée. Je traverse le scandaleux silence et l'indifférence du monde, la nuit étoilée et la rosée matinale, les petites routes campagnardes et les longues transversales des autoroutes amollies par la chaleur. Je soulève et transperce les cendres du défunt Rideau de fer, toujours bien visible dans les codes vestimentaires et dans l'architecture. Je pleure derrière une station-service en Autriche, je sanglote devant un mur en brique sous un néon, sur un air de musique qui me murmure moonlight shadow, moonlight shadow, bêtement, opiniâtrement comme pour me rappeler, encore une fois, que je suis à la fin de ma première vie. Le commencement de ma deuxième existence, en tant qu'exilé, annonce une longue saison d'émotions clandestines. Une époque dure, froide, adulte.

A l'Ouest rien de nouveau, me dis-je, une frontière puis une autre. Les flics et la douane, la douane et les flics."

"On a écrit des livres après le goulag, après Hiroshima, après Auschwitz, Mauthausen...

Peut-on écrire après Sarajevo ?

Pour décrire cette destruction qui relève de l'irréel, pour évoquer le caratère lumineux et sacré du sacrifice des victimes ?

Comme on le sait, comme on l'a répété depuis longtemps, le poète est inéluctablement parmi les hommes, afin de parler de l'amour et de la politique, de la solitude et du sang qui coule, de l'angoisse et de la mort, de la mer et des vents.

Pour écrire après une guerre, il faut croire en la littérature.

Croire que l'écriture peut remettre en branle des mécanismes qu'on a mis au rebut lors du recours aux armes.

Qu'elle peut ramener l'horreur incompréhensible et inexplicable, à la mesure humaine."