Hamid Aït-Taleb livre ici un hommage à son père, Mohand-Saïd, kabyle émigré en France en novembre 1962.
La première partie du livre se situe en Kabylie dans les années 40, et l'on suit la vie des grands-parents et du père de l'auteur : la pauvreté extrême, la faim, le travail harassant. Cette vie de misère que son père a connu étant enfant a été décrite par Albert Camus, alors reporter. L'auteur en reprend des passages "Ici la misère est effroyable. Si ce n'était pas ridicule, il faudrait le crier tous les jours dans le journal. Je ne suis pas suspect de sentimentalité. Mais aucun homme de sensibilité moyenne ne peut voir ce que j'ai vu sans être bouleversé."
Puis, en 1962, son père âgé de vingt-cinq ans quitte l'Algérie pour la France avec l'espoir d'une vie meilleure. Il sera toute sa vie ouvrier à la Société Métallurgique de Normandie (SMN). Marié à une jeune cousine algérienne (mariage arrangé), ils vont avoir 9 enfants, dont l'auteur. Le père est un taiseux, ayant parfois des crises de colère. Un travailleur de l'ombre sans titre.
Un homme sans titre est un hommage plein d'humanité a un père fragile et courageux.
Au-delà de l'histoire de ce père, c'est aussi le récit du changement de classe de l'auteur, qui va traduire son nom Hamid Aït-Taleb en Xavier Le Clerc. Un enfant qui a grandi dans l'amour des livres et qui a dû apprendre à parler, s'habiller et se mouvoir différemment (de la même manière que nous le décrit Edouard Louis dans "changer-méthode").
Plus qu'un roman, j'ai eu parfois l'impression de lire un livre documentaire, surtout dans la première partie qui décrit la vie en Kabylie. C'est un témoignage intéressant et émouvant qui nous permet de prendre conscience de la difficulté d'intégration et d’identité de cette population.
Pour autant il ne me restera pas longtemps en mémoire.
Extrait : "Petit comme j'étais, impossible de savoir à quoi mon père pensait quand il retrouvait son calme. Ce n'est qu'en grandissant que j'ai compris qu'il y a les pères qui accumulent les connaissances, les richesses, les voyages et ceux qui perdent le peu qu'ils détiennent, encore et encore, jusqu'à finir dépossédés de tout amour-propre, résignés et dociles, dans la chaleur suffocante de l'usine et des coulées de métal en fusion."