Sa préférée, de Sarah Jollien -Fardel
Jeanne, la narratrice, revient sur son enfance dans un petit village du Valais en Suisse. Une enfance marquée par la violence de son père, souvent alcoolisé, qui s'en prend principalement à sa mère et à sa grande soeur.
C'est par l'instruction que Jeanne va tenter de fuir cette ambiance malsaine. Elle fait des études à Lausanne, essaye de se construire et d'oublier d'où elle vient. Mais la réalité la rattrape, ainsi que la culpabilité d'avoir laissé sa mère au main de ce tyran.
Car son enfance, c'est le socle branlant sur lequel elle se façonne. Et du coup tout est bancal : ses relations avec les hommes à qui elle n'arrive pas à faire confiance, ses histoires d'amour, sa violence, sa froideur, sa colère, son état dépressif.
Même si ses études lui permettent d'avoir un métier intéressant, même si elle fait des rencontres avec des hommes et des femmes bienveillants, il reste cet esprit torturé qui ne s'amenuise pas avec les années.
Un style direct avec des phrases courtes qui nous percute. Un univers sombre et douloureux.
Extraits : "De l'attirance, du désir, ou même de mes goûts, je ne savais rien. Rien. Si, à vingt ans, j'étais si indifférente au sexe, c'est que j'étais imperméable à tous les plaisirs. Être aux aguets avait accaparé tout mon être. Esprit et corps. Chaque jour. Anticiper les gestes de mon père, avoir peur de chaque instant. Faut l'imaginer, ça, tous les jours, la trouille, tous les jours. En rentrant de l'école, se demander s'il sera là, s'il sera bourré, énervé. Avoir le souffle bloqué au moindre bruit ou, pire encore, au son de sa voix, à sa manière de poser ou de jeter ses chaussures, être en apnée à table ou dans la salle de bains, en faisant les devoirs ou en lisant. Mon corps est un rempart - jamais de nonchalance, de la nervosité dans les jambes pour détaler. Mon corps est un radar - détecter la présence de mon père, courber la nuque, mais garder les yeux levés, tête et épaules rentrées, la bosse de bison naîtra vite."