Polyte, de Mérédac Savinien
Bon je l'ai classé en "roman français", parce que je n'ai pas de rubrique "roman créole" ....
J'ai reçu ce livre grâce aux partenariats de Blog o Book. Mille mercis.
Le résumé m'avait interpellé : "Étant enfant, Polyte une fois s'était cassé un piquant d'oursin dans le doigt [...], rien n'avait pu faire sortir la fine pointe barbelée... Et pendant bien des mois il avait connu cette sensation cuisante d'un élancement subit qui vous larde la chair, sans avertissement, sans raison. Il semble à Polyte qu'il a maintenant un piquant d'oursin dans le coeur."
Hyppolyte Lavictoire, dit Polyte, est un homme d'une soixantaine d'années, pêcheur reconnu, qui vit sur un petit lopin de terre légué par son père. Son seul malheur ; ne pas avoir eu de descendance. Il se décide donc à se marier avec Rébecca Sansdésir, une jeune femme de vingt ans, issue d'une vieille famille d'anciens esclaves de l'Ile Maurice. Car Polyte est raciste : il déteste les "Malabre", les indiens qui petit à petit achètent les terres des ancêtres.
Le couple mal assorti va vivre tranquillement, Becca s'occupant du quotidien, Polyte de sa pêche. Mais l'épine de la jalousie et du doute va venir se planter dans le coeur de Polyte à la naissance de l'enfant tant attendu.
Voilà un livre original, à la fois charmant par son univers de l'Ile Maurice, les amitiés, les rudes parties de pêche.... et angoissant par la haine que Polyte va développer à l'encontre de ses proches. C'est un homme taciturne, un taiseux qui patiente l'heure de sa vengeance. Du coup on attend à chaque page le coup qui va tomber, la crainte d'un malheur... et cette inquiétude sourde nous tient en haleine, alors que la vie suit son cours.
Une écriture très imagée, de nombreux mots ou phrases créoles, ce qui peut désorienter au début, mais qui m'a permis de mieux rentrer dans l'univers de l'Ile Maurice.
Pour la petite anecdote, ce livre a été écrit en 1926, perdu pendant de longues années, et retrouvé très récemment.
Un très bon moment de lecture. Je vais directement le passer à une amie qui a la chance de partir bientôt sur cette île enchanteresse.
Extrait : "Les semaines s'ajoutent aux semaines, les mois aux mois ; le temps passe, oui ! et Becca n'a pas encore d'enfant.
Polyte a d'abord pris la chose en riant : rien ne presse, après tout, et il n'est pas mauvais qu'une jeune femme soûle un peu de bon temps avant d'avoir la ceinture pleine. Surtout, pas de farce, hein? Qu'on ne lui fasse pas des jumeaux du premier coup!
Mais les mois sont devenus des années ; l'année des trois coups-de-vent succède à l'année où les manguiers n'ont pas fleuri : et Becca n'a toujours pas d'enfant.
Le rire de Polyte est à présent un rire de bilimbi : aigre et jaune. Il ne plaisante plus. Il dit à Becca des paroles mauvaises.
- Les filles des Sansdésir, c'est donc comme leur champ de pierraille ou l'herbe-boucl'herbe-bouc elle même refuse de pousser? Fichue famille ! Femmes stériles comme les mules dont elles tiennent le sabot, pendant le ferrage... Chaponnage sur toute la ligne ! C'est ça, qu'on est si grasse et qu'on a un derrière qui remplirait un panier de bazardier !"