Protocole gouvernante, de Guillaume Lavenant
Difficile de faire un résumé de ce livre et de son style très particulier.
Une femme se fait embaucher en tant que gouvernante pour s'occuper d'Elena. Mais au lieu de raconter son histoire, on va suivre le protocole qu'elle va tenir à la lettre et qui prévoit tout : les rencontres, les gestes, les paroles, les regards, l'attitude, les sentiments ... Tout pour être une jeune fille parfaite. Et pourtant, plus la lecture avance, plus on sent une tension s'immiscer et les faits et gestes de cette gouvernante deviennent dérangeants.
Au-delà de l'histoire, c'est le style qui étonne. C'est une sorte de manuel à la deuxième personne du pluriel. Les chapitres sont courts, représentant à chaque fois une étape pour inspirer la confiance tout en distillant un grain de sable dans les rouages.
Un livre d'anticipation que je n'ai pas lâché, même si j'ai parfois trouvé que ce guide était un peu redondant et très froid, comme peu l'être une notice d'emploi. Mais on est pris dans la spirale, on veut savoir, comprendre, et nous sommes manipulés comme les parents d'Elena.
On peut interpréter ce livre comme on le souhaite, anticipation, dystopie ou satire d'intégristes sans âme ? Critique de la petite vie réglée dans un lotissement ou révolution planétaire ? En tout cas il ne laisse pas indifférent et vous en sortez avec pas mal d'interrogation.
Extrait : "Ils traîneront quelques temps sur ce parquet qui, même s'ils le regardaient, leur semblerait toujours aussi neuf, aussi beau, vous annonçant qu'ils vont s'occuper d'Elena, sans faire mention de la veille, sans faire mention de l'heure tardive de leur réveil, tirés à quatre épingles, talonnettes au sol et son mat, il vous semblera tout à fait improbable qu'ils ne remarquent rien, pourtant d'autres jours suivront où ils reviendront le soir, aussi immanquablement qu'ils vous quitteront le matin, sans jamais soupçonner quoi que ce soit de ce qui grossira sous leurs pieds, même lors de cette énième soirée où, fatiguée de l'attente, de vos gestes toujours les mêmes, de leurs paroles toujours les mêmes, de ces rituels identiques, de ces attitudes répétées, fatiguée de devoir suivre dans l'ordre ces matins quotidiens, de devoir contenir votre révolte, ne sachant plus très bien d'ailleurs ce qui l'anime, ni s'il faut l'appeler ainsi, accablée de devoir poursuivre alors que vous voudriez simplement vous étendre sans devoir trahir à nouveau, sachant qu'il n'y a rien, ni personne, à trahir, disait Lewis, juste des lignes et des corps, juste la décision d'aller au bout de ce que vous vous êtes vous mêmes proposé d'accomplir, et d'autres avec vous."