Chavirer de Lola Lafon
Comme à mon habitude, je me suis plongée dans ce livre sans avoir lu la quatrième de couverture et en essayant d'oublier de quoi il parlait, pour me faire ma propre idée.
J'ai tout de suite été happée par l'histoire de Cléo, treize ans dans les années 80, qui vit en banlieue parisienne et rêve de devenir une danseuse célèbre. Et justement, la voici repérée par une femme, bien sous tout rapport, qui lui fait miroiter une bourse pour aller faire des études à New-York. Elle l'emmène préparer son book, lui offre des cadeaux de prix, l'invite dans des restaurants, fait du shopping avec elle à Paris.
Avec notre oeil d'adulte, on voit se profiler ce qui va arriver. On tremble, on espère ou désespère.
Et puis d'un coup, pouf, on passe à une autre histoire ! Revoilà Cléo à dix-sept ans, nouveau lycée, nouvel ami, nouvel attrait pour une religion...
Nouvelle ellipse et nous voici en 1995 ...
Le fil rouge reste Cléo et la danse. Cléo qui s'est construite sur ce qui lui est arrivé quand elle avait treize ans, et surtout sur ce qu'elle a fait. Cléo qui rêve d'être danseuse professionnelle malgré tout.
L'écriture est sensible, fine et subtile et l'auteure sait provoquer de l'empathie pour ces jeunes filles trop tôt sorties de l'enfance.
Cependant, la narration éclatée avec des détours vers d'autres personnages qui nous ramènent à Cléo et les époques entremêlées m'ont un peu perdu. Je conçois la volonté de faire comprendre qu'on ne peut pas écrire de manière linéaire la vie de cette femme déconstruite dans sa prime adolescence, que ce sont des morceaux d'un puzzle qu'il nous faut assembler, mais cela m'a gêné.
Il me reste des beaux passages et la lecture d'un livre qui donne à réfléchir sur la notion de pardon, de viol, de culpabilité, de rêve, de l'image de la femme et de consentement.
Extrait : "L'affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules de consentir à renforcer ce qu’on dénonce : j’achète des objets dont je n’ignore pas qu’ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l’anniversaire d’un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N’avoir rien dit, rien fait. Avoir dit oui parce qu’on ne savait pas dire non."