Ce qu'il faut de nuit de Laurent Petitmangin
Premier coup de coeur de 2021 pour un roman - Les lycéens ont bien choisi leur prix Femina.
Nous sommes en Lorraine. Un homme élève seul ses deux garçons, surnommés Fus et Gillou, depuis la mort de sa femme "la moman" d'un cancer. Il travaille en tant qu'agent de maintenance à la SNCF. Une vie calme et simple émaillée par les parties de foot de Fus du dimanche et les réunions à la section du parti socialiste.
Les enfants grandissent, Fus part en section technologique puis en IUT alors que Gillou cartonne dans ses études. Le père a plus d'affinité avec Fus mais il voit celui-ci s'éloigner et prendre un chemin politique radicalement différent en suivant le FN. Le père et le fils n'arrivent plus à communiquer, c'est l'incompréhension, la rupture, jusqu'au drame.
C'est un roman bouleversant, tout en retenue. Car dans cette famille on parle peu, l'amour paternel et fraternel se devine dans les petits riens quotidiens, un amour profond et vrai.
Et puis on passe à la détresse, aux non-dits, à la tension qui monte, à la vie qui chavire. Là aussi la sincérité est de mise. La douleur est touchante parce qu'authentique. On souffre avec eux, on espère, on est ému par les chemins pris par chacun.
Les dernières pages sont bouleversantes.
J'ai été touchée et émue par ce père qui essaye de conduire ses fils vers la vie adulte et qui se heurte à leurs choix. C'est un trio bancal qui avance coûte que coûte dans cette région qui se dépeuple. Le père, narrateur, nous livre cette tentative de construction de la cellule familiale avec pudeur.
Un roman intimiste et fort, d'une grande retenue.
Extraits : « Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus déjà grand et sec, Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j'avais sous mes yeux la plus belle vue du monde ».
"Jeremy m'avait de nouveau parlé de Paris. Les jeunes qu'il avait rencontrés étaient remontés comme des pendules, bourrés d'ambition et de certitudes. Il ne s'en plaignait pas, au contraire. Il m'avait dit : "C'est ce qui nous manque ici. Des gens, à commencer par les profs, qui nous poussent au cul. Qui nous envoient à Paris, qui ne se contentent pas trop facilement de nos maigres succès. On ne vaut pas moins que ceux que j'ai croisés, juste on n'y croit pas assez. On ne sait même pas que tout cela existe." Je ne savais pas s'il me disait ça pour Gillou. Si on avait laissé passer le train pour Fus, il n'était peut-être pas trop tard pour lui. Il fallait juste trouver le moment."