A(ni)mal de Cécile Alix
J'avais beaucoup aimé, de cette auteure, Six contre un qui parle du harcèlement scolaire. Alors quand j'ai vu qu'elle sortait un livre ayant comme thème les migrants, alors que nous travaillons dessus avec les quatrièmes, j'ai osé demander à recevoir un exemplaire. Merci à la maison d'édition qui me l'a gentiment envoyé.
A tout juste 15 ans, la mère de Miran lui rase les cheveux, lui serre autours du torse une bande de scotch cachant de l'argent, lui donne deux jerricans d'eau et lui martèle que maintenant il est un homme, qu'il doit se rendre en Europe, planche de salut contre l'enfer quotidien de son pays en guerre, que tout est organisé et payé avec un passeur de confiance. Il n'a pas le choix.
Ils sont dix-neufs entassés dans un véhicule bringuebalant. La chaleur, la promiscuité, la faim et la soif, la saleté, la douleur, la fatigue, les horreurs perpétrées par les passeurs ... chaque jour est un combat. Heureusement il y a un vieil homme qui va prendre Miran sous sa coupe, qui va l'aider quand son moral flanche ou quand il est trop faible pour continuer. Après la piste, vient la traversée de la mer, longue, dangereuse, éprouvante. Puis enfin la terre promise.
Mais c'est en France que veut aller Miran, à Paris où son père a fait des études. Cache-cache avec les garde-côtes, marche forcée, le corps lâche. Heureusement il va faire de belles rencontres qui vont lui permettre de continuer.
Une lecture assez éprouvante, l'auteure ne nous faisant pas grâce des exactions et sévices commis par ceux qui ont le pouvoir. On suit avec terreur l'avancée de Miran, lui qui a déjà perdu deux frères noyés lors de la traversée. On souffre avec lui de la chaleur et de la faim, on tremble devant les passeurs tout puissant, on tend une main désespérée à ceux qui passent par-dessus bord, on souffre de notre impuissance.
Et puis l'humanité revient et nous redonne espoir. Il lui faut ré-apprendre à faire confiance et à accepter les mains tendues.
Il y a dans ce roman de la douleur et de l'amour, du courage et de la violence, de l'humanité et de la haine, de l'émotion et des cris.
Un livre âpre qui bouscule et qui est essentiel. Une très belle plume qui porte ce témoignage touchant.
Pour l'âge de lecture, je dirais à partir de la 3e (avant pour des bons lecteurs) avec un accompagnement et une discussion avec le jeune.
Extraits ; "Là-bas sur d'autres rives, des hommes et des femmes se lèvent chaque matin sans même penser qu'ils sont libres tellement ça leur semble naturel et légitime. Nous appartenons tous à la même espèce, à la même terre ! Qui refusera l'asile à celui dont la vie est en péril ? Qui fermera sa porte à un enfant en danger de mort ?"
"Derrière nous, le vent soulève le sable, fait rouler les pierres, efface nos traces et recouvre les reliefs de nos maigres repas. Rien ne reste, rien ne nous garde en mémoire. Nous voyageons clandestinement, nous sommes des éphémères."
"Ils se racontent leurs déboires, leurs morts et les familles qu’ils ont laissées, qui attendent tout d’eux et qu’il ne faudra pas décevoir ; cette énorme responsabilité qui les pousse à endurer l’impensable, à ne plus distinguer le supportable de l’insupportable. Ils encaissent les souffrances et entretiennent leur volonté en rendant grâce au dieu qui leur a permis d’arriver jusqu’ici. Puis ils s’échauffent quand ils en viennent à parler des passeurs. Ils les insultent, les maudissent, disent qu’ils sont pires que le diable, qu’ils les obligent à vivre l’enfer sur terre. Ils imaginent des vengeances, profèrent des obscénités, et gloussent en se poussant du coude. Enfin ils se calment et se taisent un moment, le regard perdu très loin… Derrière eux ? Devant ?"