Ratures indélébiles de Aurelle Gaillard et Camille K.
Roman Graphique reçu lors d'une l'opération Masse Critique, une très belle lecture poignante.
Juliette rentre en 4e. Une rentrée sous les meilleurs auspices puisqu'elle y retrouve ses trois meilleures amies et qu'elle est bonne élève. Pour la première fois, le groupe de 4 va être séparé en deux classes, mais Juliette se retrouve avec Mathilde dont elle est très proche et qu'elle a l'habitude d'aider dans ses devoirs. A la maison, son grand-frère est au lycée et sa mère très prise par son travail de médecin, mais il n'y a pas de conflit et même si elle est souvent seule, une bonne ambiance règne.
Rapidement cependant, Mathilde va la délaisser. Elle a mûri pendant les vacances, s'habille de manière plus provocante et a un crush avec Thomas, un peu plus âgé, alors que Juliette est restée en mode "collège", elle qui, en plus, n'a toujours pas eu ses règles et n'a pas de formes féminines.
Mathilde sort avec Thomas et rejoint le groupe des "populaires", ceux qui jugent, critiquent et se croient tous les droits. Juliette se retrouve seule, isolée. Quand une fille populaire vient lui prendre son tee-shirt dans les vestiaires afin qu'elle se retrouve nue, qu'une autre la prend en photo et que la photo se retrouve sur les réseaux, c'est la descente en enfer. La voilà la risée du collège, insultée par des personnes qu'elle ne connaît même pas, étouffée par des tonnes de messages, jours et nuits.
A qui en parler ? A ses deux autres copines qui la soutiennent mais qui ne sont pas dans la même classe et vivent leur vie d'ado ? A son frère qui ne prend pas la dimension de sa détresse ? A sa mère débordée par son travail ? A une amie de famille qui lui promet de ne rien dire ? A l'infirmier du collège présent sur des petites plages horaires difficiles d'accès ? A la CPE ou aux profs alors qu'elle reçoit des messages qui lui promettent le pire si elle parle ?
J'ai été très touchée par ce roman graphique car je l'ai trouvé très réel, moi qui travaille dans un collège et qui fait partie de la cellule bien-être qui lutte contre le harcèlement.
Oui, nous avons eu un élève qui a eu un compte snapchat créé à son nom avec "x la pupute qui pue" ; oui, nous avons eu un élève qui n'était pas au courant des changements de planning parce qu'il était exclu du whatsapp de la classe ; oui, nous avons des scarifications et des phobies scolaires ; oui, nous avons des "populaires" qui passent leur temps à juger et se moquer ; oui nous avons des élèves qui ne veulent pas parler de peur que ce soit pire après ... (et je précise que je suis dans un petit collège de province, très calme).
J'ai lu de nombreux romans jeunesses et BD sur le harcèlement, et c'est la première fois que je ressens une telle proximité avec ce qui se passe au collège. Peut-être parce que l'une des auteures est une ancienne enseignante ?
Pour ce qui est du graphisme, les dessins sont assez simples et montrent bien les différentes émotions des adolescentes. Tout le roman est dans les tons violet, ce qui peut surprendre au départ mais cela permet aussi de rester focalisé sur le thème du harcèlement. La mise en scène est classique, entrecoupée par des pleines pages qui marquent la violence, la peur et la spirale de la douleur.
Un très bon roman graphique, bien mené, à mettre entre les mains des ados, des parents et des équipes éducatives.