Comme des bêtes, de Violaine Bérot

Un livre noté depuis longtemps dans ma PAL (merci A Depuis le cadre de ma fenêtre qui m'a donné envie de le lire), enfin libre à la bibliothèque, et un beau coup de coeur pour finir l'année de lecture et commencer l'année des critiques.

Plusieurs personnes d'un village des Pyrénées sont interrogés à propos des agissements d'un jeune homme "benêt" et muet, qui vit seul avec sa mère dans la montagne, et qui aurait élevé une petite fille : sa fille ? une enfant abandonnée ? kidnappée ?

A part l'institutrice, persuadée que tout vient de la mère du jeune garçon, défaillante pour ne pas l'avoir mis en institution, tous les autres, le voisin le plus proche, le traileur, le "copain" de classe, la pharmacienne du village... vont prendre la défense de cette femme et de son fils atypique. Parce qu'on est dans la montagne avec un peuple de taiseux, parce qu'il est peut être un géant benêt (son surnom est l'ours) mais il n'est pas malveillant, parce que si on ne va pas le chercher sur son territoire il n'est pas méchant. Il a même un don pour soigner les animaux.

La plupart ne connaissaient pas l'existence de cette petite fille trouvée près de lui, mais certains les avaient vu ensemble jouer avec un âne, appeler les biquettes, et ils trouvaient ça normal et même beau de voir cette osmose.

Finalement les plus fous ne sont pas ce jeune homme muet qui vit dans son monde et sa mère qui a fui la ville pour le protéger, mais plutôt les gendarmes qui sont venus en hélicoptère pour le capturer, les journalistes qui traquent l'information, les médisants qui n'acceptent pas la différence.

Entre chaque chapitre relatant un interrogatoire, viennent s'immiscer quelques vers qui nous parlent d'une légende de la vallée, un conte où des fées prennent soin des bébés abandonnés, quand des femmes ne peuvent pas s'en occuper. Des fées qui bercent et qui se font aider par des géants dont les humains ont peur. Des fées qui vivent dans la grotte où a été retrouvé l'enfant.

Un petit roman choral bouleversant d'humanité qui nous questionne sur la tolérance. Une plume puissante et vibrante.

Un beau coup de coeur que je vais de ce pas acheter.

Extrait : 

"Je l'ai appris par la rumeur. J'avais vu les voitures des gendarmes passer pour se garer au début de leur sentier. Et l'hélico juste après. Mais j'ai pensé à un accident. Les explications, je les ai eues qu'ensuite. Qu'on avait monté un traquenard pour leur prendre un enfant qu'ils auraient caché. Que cet enfant était pas à eux. Qu'ils l'avaient sans doute volé. Qu'eux aussi avait été embarqués, conduits au poste. Qu'ils étaient en garde à vue.

Ce que j'en pense ? Vous voulez vraiment savoir ce que j'en pense ? Je vous préviens, vous allez pas aimer. Mais moi ça me gêne pas de vous dire vraiment ce que j'en pense.

Ben j'en pense que c'est n'importe quoi. Que des gens comme eux, discrets, qui font de tort à personne, on devrait les laisser en paix. Je comprends pas pourquoi on les a arrêtés. Pourquoi on les laisse pas tranquille en attendant de savoir. Vous avez vu le battage médiatique que ça fout ? Le bordel que ça met dans ce coin où d'ordinaire il vient presque personne ? Tout ça parce qu'on aurait dégoté un enfant sauvage. Mais ça existe pas les enfants sauvages ! Un enfant c'est un enfant, un point c'est tout. Et puis c'est quoi cette histoire de môme volé ? On se croit où là ? A Chicago ? Et à qui ils l'auraient volé ? Et comment ? Lui il descend jamais de là-haut. Et elle, elle va pas plus loin que le marché de Saint-Marcel le samedi, et quand elle remonte c'est en voiture avec moi ou un autre. Si elle avait ramené un gosse, il y aurait bien eu quelqu'un pour le voir, non ? Je vous dis, c'est n'importe quoi. Moi ça me débecte, ce genre de délire.

Pourquoi ça me débecte ? Parce que vous savez d'où je viens, moi ? D'un foyer. Je suis un gosse placé, moi. Et maintenant ce môme qu'on leur a enlevé, il va devenir quoi ? On va le foutre en foyer comme moi. Ah c'est sûr qu'il va voir le changement entre sa vie là-haut et la vie d'en bas. Qui vous dit qu'il n'était pas heureux jusqu'à ce qu'on fasse cette connerie de se mêler de son avenir ? On y pense à ce qu'il va devenir ce môme, on y pense où tout le monde s'en fout ?"