Que sur toi se lamente le tigre, de Emilienne Malfatto
Goncourt du premier roman 2021.
Peu de pages (77) mais quelle intensité !
Irak - Une jeune fille est enceinte de son fiancé, mort au combat. Enceinte et non mariée. L'honneur doit être lavé dans le sang.
Elle même et les membres de sa famille vont prendre la parole tour à tour : la belle-soeur qui accepte sa vie de labeur et y trouve une certaine paix ; Amir, le grand frère qui doit chatier ; Mohammed, le fiancé mort ; les deux frères, Hassan le tendre et Ali le modéré, qui pleurent sur la tragédie à venir et sur leur lâcheté ; la mère qui a vécu derrière des murs de voiles et a bâti pour ses filles les mêmes murs de prison, et enfin Le Tigre, fleuve majestueux dont les eaux sont empoisonnées par l'activité des hommes et la guerre.
Un huis-clos où le drame se noue, inéluctablement. Un roman polyphonique qui montre que rien ne peut abolir le code de l'honneur et l'autorité masculine. Une sorte de tragédie grecque des temps moderne portée par une écriture sobre et puissante.
Lecture coup de poing.
Extraits :
"Nous naissons dans le sang, devenons femme dans le sang, nous enfantons dans le sang. Et tout à l'heure, le sang aussi. Comme si la terre n'en avait pas assez de boire le sang des femmes. Comme si la terre d'Irak avait encore soif de mort, de sang, d'innocence. Babylone n'a-t-elle pas bu assez de sang. Longtemps, au bord du fleuve, j'ai attendu de voir l'eau devenir rouge".
"Amir a bien choisi, dit ma mère. Baneen est une bonne épouse. Elle ne quitte pas la maison, ne parle pas trop fort, connaît sa place. Prévient les moindres désirs de son mari. Baneen est une ombre empressée et voilée. Elle s'active à la cuisine, dans les chambres, ces tâches domestiques qui sont son univers, dans lesquelles elle s'absorbe, se fond, se perd, jusqu'à s'y dissoudre complètement."
"Les femmes de la famille doivent rester propres. Pures. Intouchées. Au prix du sang. Notre corps ni notre honneur ne nous appartiennent. Ils sont la propriété familiale. La propriété de nos pères et de nos frères."