Le soldat désaccordé de Gilles Marchand
Acheté lors des Escales de Binic en mars, ce livre m'attendait sur ma PAL. Ayant vu qu'il avait reçu le prix des libraires, je l'ai ressorti, et bien m'en a pris.
Après la première guerre mondiale, un ancien poilu qui a perdu la main gauche, s'est spécialisé dans les investigations pour retrouver la trace de disparus. Il est contacté en 1925 par Jeanne Joplain qui est à la recherche de son fils. Celui-ci n'a plus donné signe de vie depuis 1916, suite à la bataille de Verdun. Persuadée qu'il est toujours vivant, peut-être amnésique, elle le mandate pour faire des recherches. Cette quête va lui prendre 16 ans et va devenir son leitmotiv.
Parce que ce Emile Joplain qu'il cherche avait quelque chose de spécial. Il était amoureux fou, transi d'amour, passionné et que, malgré l'horreur des tranchées, la violence des champs de bataille, les morts, les blessés, la boue, les poux et la vermine, Emile ne pensait qu'à Lucie et n'avait qu'un but, retrouver sa fiancée.
Lucie, l'alsacienne, qui faisait de même de son côté, allant jusqu'à arpenter les no man's land pour essayer de retrouver son prince.
Commence alors une quête qui va replonger notre enquêteur dans la guerre. Il interroge des anciens soldats, des témoins qui, à force d'anecdotes, rendent le récit très vivant. L'ironie a aussi la part belle, entre les combats pour gagner quelques mètres "On oubliait que ça allait repéter de partout, qu'on allait partir à cent et revenir à trente, qu'on allait tuer, qu'on allait mourir, qu'on allait laisser un ami dans le no man's land et l'entendre gémir la nuit entière.", les réflexions simples et terribles "Si on avait su qu'un boche c'était rien qu'un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus.", et cette "der des der" qui n'en n'est pas une.
Cet amour fou est devenu quasi mythique dans les tranchées. Les hommes et les femmes qui ont croisé les deux amants en ont gardé un souvenir fort, car c'était l'étincelle de vie qui les faisait tenir.
Cette quête nous fait vibrer : les deux amants ont-ils réussi à se retrouver ? Ont-ils disparu ensemble pour enfin vivre sereinement leur histoire d'amour ?
J'ai fini la lecture en apnée.
Une histoire prenante pleine d'amour sur fond de guerre (qui m'a fait penser à "Un long dimanche de fiançailles"), et une belle écriture. J'ai souri, j'ai tremblé, j'ai été épouvantée, j'ai espéré ...
Extrait : "Dans les tranchées, dans les boyaux, on remettait nos havresacs. Somme, Artois, Marne, Verdun. On démarrait, on avançait. On obéissait. Devant nous des havresacs, derrière nous des havresacs. Des voitures, des camions pour lesquels on s'écartait. On dégageait la route en se calant dans les fossés, en montant sur les parapets. On en profitait pour s'asseoir une minute ou deux. Quand il pleuvait, on n'osait pas toujours, pas au début en tout cas. A la longue, on s'en foutait, on remettait nos havresacs. Boue par boue, pluie par pluie, il fallait avancer.
On se racontait nos amours. Ceux qu'en avaient plus se souvenaient. Ceux qu'avaient pas été gâtés embelissaient. Ça sert à ça, les histoires, à rendre la vie meilleure. On avait les pieds lourds, alors on s'interdisait d'avoir le coeur trop lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie, on aurait coulé. Et il fallait avancer. On remettait nos havresacs qu'on remplissait d'histoires d'amour d'un peu tout le monde, ça resservirait toujours. L'amour, ça se partage bien, t'en prend un bout, il en reste autant à celui qui t'a raconté l'histoire. C'était facile d'être généreux. Et pour cela, celui qui était le meilleur, d'après tous ceux qui l'avaient rencontré, c'était Joplain. Son histoire surpassait toutes les autres. Macaret, Létoile, Moriceau, tous en parlaient avec des lumières plein les yeux."