Perspective(s) de Laurent Binet
Voilà un roman policier-historique-artistique-épistolaire qui m'a tenu en haleine.
Nous sommes à Florence au milieu du XVIème siècle. Un peintre de renom, Jacopo Pontormo, a été retrouvé mort dans la chapelle San Lorenzo où il travaillait sur des fresques depuis plus de dix ans.
Giorgio Vasari, artiste et écrivain d'une des premières histoires de l'art, est désigné par le duc de Florence, Cosimo de Médicis, pour faire la lumière sur cette affaire.
Au delà d'une simple enquête sur la mort d'un artiste, se profile tout un monde politique de complots et d'alliances avec une reine de France qui conspire contre le duc de Florence, une emprise religieuse avec le pape Paul IV à Rome qui élargit les pouvoirs de l'Inquisition, interdit la représentation des nus et institue des mesures anti-juives, une emprise artistique avec nouvelle façon de peindre de Jacopo, s'affranchissant des perspectives, et dont on a retrouvé un tableau licencieux dans son atelier, tableau qui pourrait provoquer un scandale.
C'est par le jeu de lettres que nous allons suivre cette enquête. Tout le monde y va de sa conspiration, ses suspicions, ses croyances. Et c'est diablement bien fait !
J'ai beaucoup aimé que tous les personnages aient réelement existé (j'ai passé pas mal de temps en recherche pour en savoir plus sur chacun-e). J'ai été emportée par les échanges, les réflexions, les complots, le tout avec une belle écriture assez moderne pour l'époque et une touche d'humour qui m'a fait éclater de rire plus d'une fois.
J'ai juste été un peu gênée au départ par le nombre de correspondants (même si on peut se référer à une liste au début du livre), mais finalement on s'y retrouve assez rapidement.
Un très bon moment de lecture.
Extraits :
"Sur les fresques de San Lorenzo, que vous étrillez sans pitié comme s'il s'agissait de quelque étal de boucherie, certes je ne saurais vous contredire car je ne les ai pas encore vues , mais d'après ce que vous m'en avez dit, l'idée n'est pas sans rappeler la Sixtine. Or, quand c'est Michel-Ange qui empilait les corps nus, arrêtez-moi si je me trompe, mais, jusqu'à preuve du contraire, vous trouviez cela merveilleux. Je sais bien que les temps changent, mais vous n'êtes pas obligé de changer avec eux."
"Peintres, sculpteurs, architectes : l'artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il à l'idée de Dieu qui est précisément l'infini, cette chose impensable, inconcevable. Et pourtant ... Impensable, oui, mais pas irreprésentable. C'est la perspective qui permet de voir l'infini, de le comprendre, de le sentir. La profondeur sur un plan coupant perpendiculairement l'axe du cône visuel, c'est l'infini qu'on peut toucher du doigt. Le perspective, c'est l'infini à la portée de tout ce qui a des yeux. La perception sensible ne connaissait et ne pouvait connaître la notion d'infini. Eh bien, grâce aux peintres qui maîtrisent les effets d'optique, ce prodige a été rendu possible : on peut voir au-delà. Permettre à l'oeil de transpercer les murs.[...] Nous sommes les fenêtres de Dieu. Voilà ce que nous sommes."