L'apiculteur d'Alep, de Christy Lefteri

Un titre que j'avais glané sur les blogs et que j'ai trouvé à la bibliothèque. Un coup de poing assez dur sur le périple d'un couple de Syrien qui cherche à rejoindre l'Angleterre.

Quand la guerre éclate en Syrie, Nuri, sa femme Afra et leur jeune fils Sami mènent une vie tranquille. Lui est devenu apiculteur après avoir suivi les conseils de son cousin, Mustafa. Ensemble ils ont créé une entreprise et exportent du miel et des produits dérivés en Europe, en Asie et dans le golfe Persique. C'est à cause de leurs abeilles que Mustafa et Nuri retardent le moment de quitter la Syrie alors que la situation politique est de plus en plus tendue. Quand leurs ruches sont incendiées, quand l'impensable a lieu, il est alors trop tard pour partir par avion, il faut se cacher, ruser et prendre des chemins dangereux et coûteux.

Les pages de la traversée sont entrecoupées par la vie heureuse qu'ils menaient à Alep. Le réconfort de Nuri auprès de ses abeilles, la notoriété débutante d'Afra, artiste-peintre.

Afra et Nuri ont tous les deux connu l'horreur de la guerre. Ils ne sont pas touchés dans leurs chairs mais dans leurs esprits. Chacun fait face comme il peut aux atrocités subies, l'un en s'inventant un autre quotidien, l'autre en refusant de le voir. Mais comme l'un à besoin de l'autre, ils s'épaulent, se soutiennent et si aucun des deux ne sombre dans la folie, c'est parce qu'ils savent que si l'un tombe, l'autre suivra.

Avec l'aide des bénévoles, avec le soutien de Mustafa qui les attend en Angleterre, avec l'espoir de reconstruire sa vie, on espère avec Afra et Nuri qu'ils pourront vivre à nouveau une vie pleine de projets basée sur la paix.

Alors oui, c'est un livre difficile, mais, pour moi, la littérature a aussi ce pouvoir de nous ouvrir les yeux sur les souffrances du monde. Car même si on entend aux informations des nouvelles bouleversantes sur des réfugiés, voir écrire une histoire et ressentir de l'empathie pour un couple marque beaucoup plus les esprits.

Pour écrire son livre, l'autrice, qui est anglaise, s'est inspirée des histoires qu'elle a entendu quand elle était bénévole dans un camp de migrants en Grèce.

Une histoire poignante portée par une belle écriture sensorielle.

Extraits :

"Chaque matin, je sortais et je fouillais les ruines pour trouver à manger, et je lui rapportais un cadeau. Je déterrais un tas d'objets dépareillés, des morceaux de la vie des gens, cassés ou intacts : une basket d'enfant, un collier de chien, un téléphone portable, un gant, une clé. C'est bizarre de trouver une clé lorsqu'il n'y a plus de portes à ouvrir. À vrai dire, ça l'est encore plus de trouver une chaussure ou un gant quand il n'y a plus ni pied ni main pour les enfiler."

"C'est alors que je remarquai un petit garçon assis en tailleurs par terre. Il avait sept ou huit ans et faisait rouler une bille sur le carrelage. Il était un peu bizarre, l'air très loin, perdu dans son monde. Il semblait seul. 

Plus tard, lorsque je sortis sur le balcon, il me suivit. Il se posta à côté de moi, se dandinant sur place. Il se cura le nez et s'essuya la main sur son jean.

- Est-ce qu'on va tomber à l'eau ? demanda-t-il en levant vers moi ses grands yeux, ainsi que Sami aurait pu le faire.

- Mais non.

- Comme les autres gens ?

- Non.

- Est-ce que le bateau sera emporté par le vent ? Est-ce qu'il se retournera ? 

- Non. Et même si cela devait arriver, nous aurons des gilets de sauvetage. Tout se passera bien.

- Et Allah - prends pitié de nous - nous aidera ?

- Oui, Allah nous aidera.

- Je m'appelle Mohammed.

Je lui tendis la main et il la serra comme un petit homme.

- Enchanté, Mohammed. Moi, c'est Nuri.

L'enfant me regarda de nouveau, ses yeux écarquillés par la peur.

- Mais pourquoi est-ce qu'il n'a pas aidé les garçons quand ils leur ont coupé la tête ?"

Comments

[Antigone]

J'ai lu Eldorado de Laurent Gaude qui est assez fort aussi sur le sujet de l'exil. Des textes essentiels.

[Alex-Mot-à-Mots]

J'avais vu passer ce titre en attendant des avis (depuis le temps...). Je le note maintenant.

[Violette]

difficile mais magnifique ! Je suis contente que tu aies été emportée autant que moi (apparemment)

[manou]

Je ne l'ai pas encore lu mais j'ai beaucoup apprécié le dernier roman de l'auteur. Merci pour cette chronique

[aifelle1]

J'espère le lire tôt ou tard.

[Luocine]

J'avais trouvé aussi ce roman dans une petite bibliothèque et je l'avais beaucoup apprécié. On n'oublie pas cet apiculteur . Ce roman m'a fait penser à la BD "l'odyssée d'Akim"