Mes fragiles de Jérôme Garcin
J'avais noté ce titre suite au passage de l'auteur à la Grande Librairie et l'avis positif d'une amie. Je l'ai trouvé à la médiathèque, étonnement répertorié dans les essais alors que pour moi il s'agit plutôt d'un roman autobiographique où l'auteur revient sur les personnes de sa famille qui sont mortes.
J'ai été touchée par ce récit qui aborde sans pathos le thème de l'accompagnement d'une personne qui nous est chère vers la mort. C'est un chemin qu'il a pu faire avec sa mère, morte en 2020, puis son frère handicapé 6 mois plus tard. Il n'a pas pu réaliser cette démarche avec les deux morts qui ont marqué son enfance, deux morts accidentelles, celle de son frère jumeau fauché par un chauffard à 6 ans, et celle de son père tombé de cheval alors qu'il avait 16 ans.
Des portraits de défunts plein d'humanité et d'amour. Cette mère invincible, souriante et droite, qui n'a jamais, avant sa dernière hospitalisation, montré ses failles et sa détresse. Ce frère fragile, porteur d'une maladie génétique, le syndrome de l'X fragile, frère qui se veut indépendant mais ne peut vivre seul.
Une plongée dans la vie intime de l'auteur avec une écriture pudique et fluide.
Un récit sensible.
Extraits : "Plus le temps passe et plus je crois à la présence des morts. Ils sont là. Leur âme demeure, plane et s'obstine. Ils s'annoncent souvent entre chien et loup, dans une lumière tamisée de petit matin ou de fin de jour, dans un pépiement têtu, une fragrance indistincte, entre les pages pelucheuses d'un vieux livre non massicoté, la traîne blanche d'un avion, sous le sabot d'un cheval, près d'un muret en pierre, au coeur battant d'une forêt de pins maritimes. Je leur parle, en silence, depuis si longtemps. C'est une compagnie invisible, heureuse et bienfaisante. Ils n'ont jamais cessé de m'épauler, ou de me corriger. Je doute qu'ils commercent entre eux - j'en rêverais pourtant, ce serait réconfortant d'imaginer des retrouvailles bavardes, des embrassades familiales à ciel ouvert -, mais j'ai la conviction qu'ils ont affaire avec les vivants et ne se soustraient pas à ce que l'on attend d'eux. Ils demandent seulement un peu de répit après leur disparition et qu'on apprenne, en fermant les yeux, à se signaler à eux. Les morts sont patients. Exigeants et patients. Mon jumeau fauché par un chauffard a attendu que je grandisse pour grandir en moi et avec moi. Mon jeune père désarçonné a guetté l'instant où je serais vraiment cavalier pour me rejoindre et m'accompagner, dans un galop à la limite de l'emballement, sous les futaies et sur les plages. Et je sais que bientôt, ma mère paysagiste et mon frère cubiste m'accueilleront, ensemble, dans leurs tableaux comme dans des maisons isolées sur des belvédères battus par le vent, où nous reprendrons le cours de la conversation interrompue, nos si joyeux déjeuners du lundi, et d'où nous poursuivrons nos échappées ... "