Triste tigre de Neige Sinno
J'ai été assez déroutée par cette lecture, pas tant sur le thème que sur le style. En fait je m'attendais à un roman comme ceux de Vanessa Springora ou Camille Kouchner que j'avais hésité à lire par peur du voyeurisme mais qui m'avaient ouvert les yeux et extrêmement touchée. Mais là on n'est ni dans un roman, ni dans un récit, ni dans un témoignage, mais dans un enchevêtrement de pensées où l'autrice cherche à restituer la complexité de ce qui se passe dans sa tête.
C'est un questionnement personnel à la fois sociétal, spirituel, familial, existentiel, psychologique, littéraire, anthropologique... la variété des perceptions du viol et ses conséquences étant vues sous plein d'angles.
On commence par une analyse textuelle de Lolita de Nabokov avant de partir dans l'enfance de l'autrice. L'arrivée de son beau-père, la vie de famille marginale, quelques extraits d'articles de journaux, ... et puis on repart dans la littérature avec Virginia Woolf avant d'entamer le procès. La construction est assez décousue. L'autrice suit ses idées qui s'entremêlent, elle interpelle le lecteur, nous fait part de ses réflexions entrecoupées du récit de sa vie.
Il m'a semblé lire plus un essai qu'une oeuvre littéraire, avec de nombreuses analyses intéressantes, par exemple sur l'emprise du violeur, la place de la mère, la réinsertion, le poids à vie ... mais avec aussi une certaine lourdeur, et du coup sans trop d'émotion.
Il est important que des livres sur l'inceste continuent à être publié. Celui-ci, plus intellectuel que viscéral, m'a moins touché que les autres.
J'ai pu suivre une rencontre du prix Goncourt des lycéens où l'autrice était en visio du Mexique. Elle a bien expliqué alors sa nécessité d'écrire tous les ressentis qui tournent dans sa tête, ce qui peut expliquer ce côté confus.
Extrait :
"Mon viol n'est ni un petit viol ni un grand viol, c'est un viol relatif, relativisé par les conditions de la ma naissance dans le pays des droits de l'homme, par le fait que le crime ait été reconnu par le coupable et par la justice. Parce que j'ai la possibilité et le droit de l'écrire aujourd'hui.
Il faudra que je me taise et que je laisse la parole à celles qui en ont plus besoin que moi. C'est vers ce silence que je dois tendre. C'est vers ce silence que ces mots sont tendus, comme des cordes au dessus du vide, comme des arcs tendus au maximum afin que la flèche puisse partir le plus loin possible.
Mais pour l'instant, puisque j'ai la parole, puisqu'on me l'a donnée ou parce que je l'ai prise, j'irai jusqu'au bout."