La panthère des neiges, de Sylvain Tesson
Bon, je passais 7 jours chez mes parents, j'avais pris 5 livres jeunesse que je devais lire ... et comme ma mère venait d'acheter celui-là, et bien ... je lui ai piqué !
Sylvain Tesson y raconte son voyage au Tibet, en février 2018, où il accompagnait le photographe animalier Vincent Munier à la poursuite de la panthère des neiges. Deux autres personnes se sont joint à cette traque : un aide de camps philosophe et une cineaste animalière amoureuse.
Ensemble ils vont parcourir en voiture ou à pieds trois points stratégiques pour apercevoir tout d'abord des yacks, loups, vautours, antilopes ou poneys sauvages, puis cette fameuse panthère des neiges.
Quelle douceur ce livre, quel plaisir à lire bien au chaud près du feu quand on imagine les aventuriers sortir de leur sac de couchage au mileu de la nuit par -35°C et passer des heures sans bouger à l'affut.
Sylvain Tesson nous dévoile avec une écriture délicate la beauté des paysages. C'est une leçon d'attention à l'harmonie qui nous entoure. Lui qui a toujours vécu à cent à l'heure, voyageant, butinant de manière souvent frénétique, parlant ... il voit en l'affut la possibilité de s'imprégner de la sensibilité du réel, de s'emerveiller des formes du vivant.
Un éloge des grands espaces et de la vie au grand air qui mérite bien le prix Renaudot. J'aurais juste aimé un livre à 4 mains, avec l'écrit de Sylvain Tesson et les photos de Vincent Munier.
Extraits :
"Pendant dix jours, tous les matins, nous battions les environs, traversions les glacis à grands pas (les enjambées de Munier). Au réveil nous mentions à quatre cent mètres au dessus du baraquement, sur les arêtes de granit. Nous les atteignions une heure avant le jour. L'ai sentait la pierre froide. Il faisait -25° C : la température n'autorisait rien, ni mouvement, ni paroles, ni mélancolie. Tout juste attendions-nous le jour dans un espoir hébété."
"- Ce tournis, ces rondes. On dirait des vautours au-dessus d'un cadavre dis-je.
- Le soleil et la mort, dit Léo. La pourriture et la vie, le sang dans la neige : le monde est un moulin
En voyage, toujours emmener un philosophe avec soi."
"Pour l'instant, une nappe gelée cimentait les graviers. C'était la source, le Tao du Mékong, point zéro, futur roman. L'écoulement s'unifierait, ouvrant la voie dans la montagne. La douceur de l'air libérerait le débit, le filet se chargerait de vie : d'abord des animacules puis des poissons de plus en plus voraces. Le fleuve pousserait. Un pêcheur jetterait son filet, des villageois s'y abreuveraient, une usine verserait ses saletés : chez les hommes, tout finit dans un collecteur. L'altitude baisserait, l'orge pousserait. Plus bas, le thé, le blé, le riz enfin, et des fruits, un jour, au bout des branches. Des buffles se baigneraient. Parfois, un léopard croquerait un enfant dans les roseaux. On se consolerait vite, il en naissait beaucoup. On descendrait encore : des femmes puiseraient chaque jour une eau déjà chargée de bactéries, on commencerait à canaliser le lit. Les peaux fonceraient. Les filles sécheraient des draps orange sur les quais de pierres taillées et des adolescents plongeraient des tourelles, puis le courant ralentirait, les méandres se distendraient dans leurs propres alluvions, le fleuve rehausserait sa digue, l'horizon s'ouvrirait et se serait la plaine irriguée, éclairée par les centrales de l'amont. Pendant les jours de marché, des barges se toucheraient bord à bord, des serpents nageraient entre les cadavres à demi calcinés, et les États se disputeraient les rives, devenues frontières. Des patrouilles intercepteraient les passeurs. Les affaires suivraient leur cours, et enfin les eaux se mêleraient à la mer. Des touristes tout blancs nageraient dans les vagues. Sauraient-ils seulement que des panthères avaient un jour lapé ces eaux, du temps où elles appartenaient au ciel ?"